Depuis quelque mois, je prends de plus en plus régulièrement, et de plus en plus explicitement la parole, sur ce blog comme sur les réseaux sociaux, contre un phénomène qui me dérange et m'inquiète : les dérives du féminisme. Enfin, plus exactement, ce que je dis contre les dérives du féminisme peut-être utilisé aussi contre les dérives de l'antiracisme, de l'anti-homophobie, de l'anti-spécisme, mais il se trouve que je ne suis ni black, ni lesbienne, ni un animal (au sens non-humain), par contre je suis une femme, et je pensais que si je prenais la parole en tant que femme pour dire que je désapprouve l'attitude de certaines féministes sur internet, ça inciteraient peut-être les féministes en question à se demander pourquoi leurs paroles sont désapprouvées par une femme, de surcroît une femme clairement pour l'égalité des sexe, car je crois être claire dans mes déclarations, je suis pour l'égalité des sexes.
Un article de Madmoizelle, posté hier sur ma timeline, me fait découvrir que je me trompe. Visiblement, je ne suis pas la seule à avoir eu ce raisonnement, et un mouvement « Women Against Feminism » a vu le jour. L'article de Madmoizelle se penche sur ce phénomène. La journaliste relève, avec raison, que les femmes qui font ça sont pour l'égalité, donc sont féministes selon la définition originelle du féminisme.
Mais constater ce phénomène ne l'incite pas, comme j'espérais que ça se passe, à se demander comment le féminisme est représenté sur internet aujourd'hui. Elle conclut que ces femmes ont été mal informées de ce qu'est le féminisme, et ne pose pas la question de qui les a si mal informées. Je suppose qu'elle trouve évident que cette désinformation est l'œuvre des hommes, ces monstres odieux et dominateurs. Bon, laissons-lui le bénéfice du doute, et disons qu'elle ne se pose simplement pas la question, que la question ne l'intéresse pas. Or la question est intéressante, parce que ce ne sont pas les hommes qui font mauvaise presse au féminisme en ce moment, mais bien les féministes eux-mêmes.
La journaliste a conscience qu'il y a des extrémistes parmi les féministes, mais pense qu'il s'agit de cas isolés, et qu'on condamne tout le mouvement juste pour les actions d'une minorité. Elle ne se pose pas la question de si c'est vraiment une minorité, et si elle n'en ferait pas partie, si elle n’aurait pas cautionné, diffusé, ou même émis des propos anti-égalitaires dans sa prise de parole féministe. Pourtant, elle poste son article sur un site dont le forum est interdit aux hommes (exception faite du fondateur, bien sûr, il a une dérogation spéciale parce que... Parce que). Quel message donne-t-on au monde quand on ferme son forum à une partie de la population juste à cause de son sexe ?
Mettons qu'elle n'est pas responsable de la politique du forum du site sur lequel elle publie, mais si cette journaliste est pour l'égalité, elle devrait remarquer que cette égalité n'est pas respectée sur le site où elle poste, et s'interroger sur combien ça peut être contre-productif de poster des articles sur le féminisme sur un site inégalitaire. Est-ce que ça n'incite pas le public à penser que féminisme et égalitarisme sont deux valeurs distinctes, voire opposées ?
C'est pourquoi je réalise à quel point ma prise de parole de ces derniers mois est vaine. Ces femmes ne voient sincèrement pas le problème dans leur attitude. Elles ne voient sincèrement pas en quoi c'est mal, et dangereux, d'écrire « Il convient de ne pas perdre de vue, jamais, quand on est un homme féministe, qu'on exerce aussi l'oppression qu'on le veuille ou non.». Elles ne voient sincèrement pas en quoi il est mal, et dangereux de laisser entendre qu’en tant qu'homme, on est poussé par sa nature à harceler les filles même quand on a l’intention de ne pas le faire, donc que les hommes devraient s’enfermer chez eux et faire la vaisselle pour la sécurité des femmes. Elles ne voient sincèrement pas en quoi il est mal, et dangereux, de donner le même niveau de gravité à des publicités sexistes et au harcèlement moral le plus violent. Elles ne voient sincèrement pas en quoi il est mal et dangereux de voir du racisme, du sexisme et de l'homophobie dans toutes les œuvres de fiction qui ont jamais été créées et de traiter de salaud patriarcal tout individu qui aura le malheur de faire remarquer que la surinterprétation, ça va bien cinq minutes. Elles ne voient sincèrement pas en quoi il est mal et dangereux de répondre à une tentative de dialogue par une insulte.
Il ne sert à rien d'essayer de le leur dire. J'ai essayé. Elles ne me croient simplement pas (je dis elles, mais il y a des hommes parmi elles).
Ca ne sert à rien que je prenne la parole contre ces dérives. Tout comme il est vain de décréter que je ne veux plus me qualifier de féministe et que je me qualifierai désormais d'égalitaire. Non, je dois continuer à me déclarer féministe. Je dois seulement déclarer qu'elles, elles ne le sont pas même si elles prétendent l'être. Et déclarer qu'elles font plus de mal au féminisme que n'en fera jamais aucun de ses détracteurs.
En novembre sortira un épisode de CDAL sur le sexisme dans les dessins animés. Il est prévu depuis le début de l'émission, et rédigé depuis plus d'un an. Bien sûr, je ne pourrais sans doute pas m'empêcher de retravailler certaines tournures ou d'ajouter des discours pour l'adapter à mes problématiques actuelles, mais je m'imposerai, et al. m'imposera de le modifier le moins possible. Parce que je refuse de laisser les fanatiques féministes me changer, et que je ferai le discours que j'ai prévu de faire, indépendamment d'elles.
J'ai besoin du féminisme parce que je veux vivre dans un monde où on me juge sur ma personnalité et pas sur mon sexe et que je suis prête, en contrepartie à faire de même vis à vis d'autrui. J'ai besoin du féminisme parce que j'ai besoin de pouvoir raconter des histoires à des enfants sans être traitée d'odieuse salope parce que dans mon histoire, la princesse se marie à la fin. J'ai besoin du féminisme parce que je veux vivre dans un monde où le harcèlement moral soit un crime, et l'insulte un délit, le sexe de la victime ne changeant rien à la gravité de l'acte. J'ai besoin du féminisme parce que je ne veux pas revenir aux espaces non mixte et à la séparation des sexes, si propices au manque de communication, fut-ce au nom du féminisme. J'ai besoin du féminisme parce que je veux qu'il y ait compréhension mutuelle entre les deux sexes. J'ai besoin du féminisme parce que je sais que le sexisme existe, que j'en ai déjà été victime, et qu'à force de crier « au loup » les fanatiques féministes font en sorte qu'on ne remarque plus les injustices qui existent pour de vrai. J'ai besoin du féminisme, donc, je continuerai à dénoncer les dérives chaque fois qu'on insultera une œuvre ou une personne injustement. Mais plus dans l'espoir de convaincre. Seulement dans le maigre espoir de prouver que le féminisme, ce n'est pas ça.
J'ai mal à mon féminisme, je pleure, et j'ai peur pour l'avenir.