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1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 11:58

Après dix ans d’exil, Jimmy revient dans sa campagne irlandaise. Il est accueilli avec chaleur et larmes, sauf par le curé de la paroisse, qui, à peine arrivé, essaye de l’éloigner à Londres. Reprendre sa vie passée n’est pas chose facile. Son frère mort en son absence, sa petite amie qui s’est mariée avec un autre, ses amis qui lui sont devenus étrangers… Mais il a bien l’intention d’avoir une vie paisible et heureuse, et d’aider sa mère à vieillir en paix dans sa ferme. Peine perdue. A peine est-il arrivé que tous les jeunes du village lui fondent dessus comme un seul homme pour le supplier à deux genoux de rouvrir le dancing qu’il avait construit sur le terrain de ses parents, avec les économies mises de côté par lui et ses amis. Les sous-titres traduisent Hall par Dancing, mais le fait est que ce lieu qu’on lui supplie de rouvrir est plus qu’un simple dancing, c’est davantage un centre culturel. Des bénévoles y donnent des cours de chant, de cuisine, de boxe. Le contexte, à savoir que le public pouvant profiter de ces cours a souvent du quitter l’école prématurément afin de trouver du travail, n’est pas explicite. Des flash-back rapides nous font comprendre, succinctement, et assez vaguement, que le dancing a également servi à des rassemblements militants et au siège d’un tribunal. Que ce Jimmy a été un militant communiste très actif, qu’il a failli être arrêté pour cela et a du partir en exil précipitamment. Fin des flash-back. Il a déjà pris sa décision. Il rouvre le dancing. Et on coupe sur le prêtre, qui se confie à son jeune subalterne et nous dit enfin ses craintes : l’initiative d’éduquer les gens du village prise par un communiste ne va pas manquer d’attirer la sympathie de ces gens pour le communisme, et le communisme, le prêtre le sait, c’est une doctrine dangereuse, qui a abouti à des persécutions en Russie. Si on sait un peu d’Histoire, on sait que ce prêtre n’est pas complètement paranoïaque, et que le régime russe de l’époque n’était pas idéal. Mais dans le Dancing, les gens apprennent les chants traditionnels irlandais, étudient la poésie romantique, boxent, bref, ne font rien de politique, ne font rien d’idéologique. Pas dans le cadre, du moins. Pas pendant la première moitié du film, en tout cas.

Tout est fait pour qu’on ne haïsse personne. Même pas le propriétaire terrien qui bat sa fille pour la punir d’être allée au Dancing. Il a beau être le seul personnage foncièrement antipathique de cette histoire, la caméra le montre peu, il reste effacé derrière le prêtre. Le prêtre, pas spécialement fanatique, pas spécialement déraisonnable, convaincu seulement du danger du communisme et de la nécessité d’asseoir son autorité sur ses ouailles en les traitant comme un professeur traite sa classe de jeunes enfants. Pour de vrai. Lire devant tout le monde les noms des gens qui ont désobéi, c’est un truc qu’on apprend à l’IUFM. C’est pourquoi il refuse toute forme de compromis. On lui propose d’assister au conseil d’administration du dancing, histoire d’être rassuré, de constater qu’il ne s’y passe rien de politique, mais il refuse le compromis, il veut le contrôle ou rien, il croit sincèrement qu’il ne peut protéger ses paroissiens qu’en ayant le contrôle, ou rien. Mais le tout en reconnaissant la valeur de l’effort qu’on fait en lui proposant ce compromis, la bonne foi de ses adversaires, leur sincérité quand ils pensent faire du bien autour d’eux.

Ca en devient limite difficile à croire, surtout quand on est habituée aux débats sur internet, où 90% du temps, la stratégie de chaque débattant et d’accuser l’autre de mauvaise foi et d’hypocrisie, puis d’éviter de répondre à ses arguments en digressant sur un problème qui n’a rien à voir, jusqu’à ce que l’enjeu du débat soit complètement oublié et que seul le dernier à avoir parlé compte. Je comprends pourquoi les débats internautes échouent. Je ne comprends pas pourquoi l’opposition entre Jimmy Gralton et le curé de sa paroisse n’aboutit à aucun compromis. Alors que chacun des deux comprend et respecte la position de l’autre. Alors que le prêtre a le mérite de douter de lui quand ses partisans en viennent à tirer des coups de feu sur les danseurs. Le mérite de se demander si Jimmy a raison quand il l’accuse d’avoir plus de haine que d’amour en lui. Le mérite d’écouter les disques de Jazz donnés par Jimmy. Le mérite d’admettre que la musique est bonne. Mais pas celui de revenir sur sa position. Remarque, Jimmy ne revient pas non plus sur la sienne quand le prêtre plus jeune lui propose d’essayer d’apaiser les tensions s’il ferme le dancing. Il dit même qu’il lui préfère son vieux collègue, qui lui, au moins, se bat pour ses convictions. Que deux personnes regardent leur adversaire de manière aussi exceptionnellement raisonnable, s’écoutent avec une attention aussi exceptionnelle, et ne parviennent pas à un compromis a quelque chose de surréaliste quand on est habituée à voir des débats échouer parce que cette raison, cette écoute, fait défaut aux débattants. Mais au fond, tant pis. Cette opposition en devient belle. Tragique. Deux hommes s’affrontent alors qu’ils se portent une haute estime, mais aucun des deux ne cèdera. D’ailleurs, seul un des deux espère que l’autre cède.

Raconter une histoire à partir de faits réel, c’est toujours délicat. Forcément, les événements n’ont pas été prévus pour être esthétiques, ils ne le seront forcément pas. Ken Loach a su faire de l’esthétique malgré tout, en ne se focalisant pas sur les événements, mais sur le drame humain. Du coup, il y a peut-être beaucoup trop d’implicite. Du coup, on a du mal à saisir exactement pourquoi c’est le dancing qui est dangereux, pas les militants communistes qui viennent y rencontrer Jimmy pour lui demander d’intervenir dans une manifestation contre l’expropriation d’un paysan et sa famille. Du coup, on ne voit pas forcément le rapport de cause à effet entre l’initiative d’ouvrir un Dancing, et la popularité que ça engendre, popularité qui amènera le public à adhérer aux opinions qu’on a, même si on ne les prêche pas outre mesure. Mais du coup, le film est poignant, terrible et efficace.

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commentaires

B
Tchoucky, tu as lu De cape et de crocs ?
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T
Non, pourtant, on me l'a chaudement recommandé. Je lirai, un jour.