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17 juin 2016 5 17 /06 /juin /2016 22:34

Dis, Internet, ça t’ennuie si on parle une minute ? Je sais, t’as mille choses sérieuses à faire, tellement d’horreurs à dénoncer, de guerres à mener, le monde à sauver, mais j’aimerais beaucoup, beaucoup que tu m’accordes un peu de ton temps. T’es pas obligé, je peux pas te forcer, mais ce serait vraiment très aimable de ta part. 

Ça un moment qu'on est ensemble, toi et moi. Onze ans, non ? Au début, c’était génial. Tu te souviens, comme je te trouvais formidable ? J’avais même écrit un livre pour que tout le monde réalise combien tu pouvais être la solution à bien des problèmes. J'avais écrit que sans toi, les âmes sœurs risquaient de vivre une vie entière à des kilomètres l'une de l'autreOui, j'étais amoureuse comme ça. Et puis tu as commencé à me briser le cœur, puis à ramasser les morceaux pour les briser en morceaux plus petits, et, le plus terrible dans tout ça, c’est que je n’ai jamais cessé de t’aimer. Il y a des amours contre lesquels on ne peut rien.  

Peu importe la cause que tu défends, Internet, tu es un véritable enfoiré quand tu es persuadé d'avoir raison. Tu devrais servir à ce que les gens s'aiment. A la place, tu les pousses à se haïr. 

Je voudrais te poser une question, une seule. T'es pas obligé d'y répondre. Est-ce que je suis réellement une si horrible personne que ça, si je décide simplement qu'il existe des gens gentils ? 

Non, ne sors pas tes couteaux et tes piques. Je SAIS qu'il existe des gens méchants. Mais est-ce que ça fait vraiment de moi une horrible personne si je décide qu'il existe aussi des gens gentils ? 

Des manifestants qui ne sont pas des casseurs. Des policiers qui ne sont pas des cowboys. Des gens raisonnables, qui se soucient réellement de travailler à l'intérêt général. Je croise tous les jours, à République, des policiers aimables qui te renseignent aimablement quand tu les abordes. Et l’autre jour, à Invalides, au milieu du brouillard de lacrymos, c’est vrai, j’ai bien remarqué une poignée de gens tout de noir vêtus qui dissimulaient leur visage sous une cagoule, mais il y avait aussi pas mal de gens qui ne s’étaient clairement pas habillés pour la baston. Y en avait même un cosplay en Louis XIV. (J’aurais du faire une photo. J’ai pas osé lui demander) 

Et puisqu'on y est, est-ce que ça fait de moi une horrible personne si je décide qu'il y a des hommes qui ne sont pas des crocodiles ? Des musulmans qui ne sont pas Jihadistes ? Des blancs qui ne sont pas esclavagistes ? Des cathos qui ne sont pas réac ? Des féministes qui peuvent supporter de marcher sur le même trottoir qu'un homme ? 

Si je décide que faire une chanson qui s'appelle "j'ai embrassé un flic", c'est pas aussi grave que de violer une mineure ? 

Si je décide que refuser de chanter la Marseillaise ou respecter la minute de silence en hommage à Charlie Hebdo, c’est moins grave que de prendre un selfie avec la tête coupée de son patron ? 

Si je décide que tirer de la lacrymo, c’est moins grave que d’écraser des étudiants avec des chars ?  

Si je décide que signaler que les black ont souvent un rôle de comique dans les films, c’est moins grave que debasher un humoriste sur Twitter en l’accusant de racisme pour une blague qu’il a faite et qui était, sans ambiguïté aucune, féministe et antiraciste ? 

Si je décide que dire « doubleur » au lieu de « comédien de doublage » parce qu’on estime qu’être une voix, c’est un métier spécifique nécessitant des compétences spécifique et que n’importe quel comédien de cinéma ne peut pas le faire sans un minimum de formation, c’est moins grave que de manquer de respect aux artistes de cette profession, et au public, en confiant leur boulot à la star du moment qui fera peut-être remplir les salles mais ne sait clairement pas doubler ? 

Si je décide qu’oublier de préciser dans le titre de l’article que la tuerie d’Orlando a eu lieu dans une boîte gay, a fortiori si c’est précisé dans le corps d’article, c’est moins grave que de tweeter « Ça ne fait jamais que 50 PD de moins » ? 

Si je décide que faire un reboot de Ghostbusters avec un cast entièrement féminin, qualité du film mise à part, c'est moins grave que d'exclure un homme d'une réunion militante constituée majoritairement de femmes sous prétexte que, même s'il est en sous nombre, même s'il n'a encore rien dit, elles se sentent oppressées par le fait qu'il soit là ? 

Si je décide que faire un bras d'honneur physique quand on est un footballeur, c'est moins grave que faire un bras d'honneur moral quand on est le premier ministre ? 

Si je décide qu’il est moins grave d’être de droite que d’extrême droite ? 

Si je décide qu’il existe des gens nuancés ? Des gens qui sont contre le voile parce qu’ils pensent que c’est un symbole d’oppression de la femme, mais qui, dans la réalité pratique, ne trouvent pas pertinent de priver celles qui en portent de leur scolarité ? Des gens qui sont contre le harcèlement de rue mais ne vont pas pour autant estimer que les hommes doivent changer de trottoir devant les femmes ? Des gens qui sont à la recherche de ce qui est juste de ce qui est dans l’intérêt général ? De ce qui peut apporter autant de bonheur que possible à d’autres, et qui résistent encore et toujours au piège de la détestation fanatique d’autrui ?  

Que ce n’est pas si grave de porter des jupes courtes ? Que ce n’est pas si grave de porter des jupes longues ? Que ce n’est pas si grave d’écrire sans mettre de -e aux noms de groupes composés à la fois d’hommes et de femmes ? Que ce n’est pas si grave de vouloir davantage de filles dans la fiction ? Que ce n’est pas si grave de ne pas en avoir mis, si l’histoire est bonne ? Que ce n’est pas si grave de coucher avec quelqu’un du même sexe  De s’en foutre de avec qui tu couches du moment que c’est majeur, consentant et pas moi ? De s’en foutre des fautes d’orthographe ?  De s’intéresser plutôt au propos ? D'aimer faire du barbecue quand on est un homme ? De faire une pub où les petits garçons jouent à la poupée et les petites filles aux voitures ? D'aimer les Pokémon ?  

De mettre de la crème dans ses pâtes carbonara ? Si, si ! 

Ca fait un moment, Internet, que je sais que, selon ta définition, je suis un monstre. Moi, qui t'aime tant, qui ne demande qu'à partager le meilleur de ce que j'ai en moi avec toi, moi, je suis un monstre. 

Parce que je suis contre les espaces non mixtes. Une discrimination, c’est une discrimination, peu importe qui l’impose et qui la subitsans compter que séparer les gens, même occasionnellement, leur enlève toute chance de se comprendre. J’ai payé pour savoir que les gens qui cherchent à se comprendre, c’est rare, mais c’est pas une raison pour rendre le dialogue impossible. 

Parce que je n'aurais jamais eu l'idée de créer un hashtag pour me moquer des larmes des hommes à qui on explique qu'ils sont coupables par essence et qu'ils doivent gentiment accepter notre haine sans protester, car ils la méritent, après tout, ils sont tous des crocodiles, même quand ils n'ont rien fait. Parce que je peux me tenir dans la même pièce qu’un mâle sans avoir peur. Je peux même lui parler. Et tu sais pas ce qu’il y a de plus fou, je peux même faire des vidéos avec lui. Cinq ans. Sans avoir peur. Parce que je ne crois pas que Al soit un crocodile, ni Pesme, ni Nico, ni Lucas, ni Adrien, quant aux autres, jles présume innocents jusqu’à ce qu’ils soient reconnus coupables, et, pourtant, je sais que les crocodiles existent. Et pourtant, je sais que la domination existe. Mais je récuse la notion de dominant en tant que caractéristique intrinsèque d'une catégorie d'êtres humains. Je ne me sens pas dominée. Ni Al, ni Pesme, ni aucun de ceux que j'ai cités ne sont des dominants. Ce sont des amis. 

Parce que je ne déteste pas la police. Je sais qu’elle fonctionne mal et je sais qu’il y a des policiers qui abusent de leur pouvoir. Mais je ne fais pas partie du « tout le monde » qui déteste « la police », le concept de police. Je trouve bien que ça existe, la police. Je pense qu’il est indispensable qu’il en ait une, que c’est la condition pour qu'on ait une société juste et équitable où les lois sont les même pour tout le monde et où tout le monde a les mêmes droits. OK, dans la pratique ce n’est pas ce qui se passe. La police actuelle, dans la France actuelle ne remplit pas cette fonction. Ça me fait une bonne raison de détester la conjoncture actuelle, pas de détester la police. Ou l’ordre. Le concept d’organisation de la société. Le concept de loi. Je suis une petite femme timide avec une voix douce. Je ne survivrais pas deux jours dans un pays sans loi. Je suis contre la loi Travail. Je suis pour les grèves. Je suis pour la motion de censure. Je suis prête à risquer ses conséquences. Mais je ne suis pas contre le concept de loi ou de gouvernement. Si le gouvernement appliquait une politique qui me convient, je serais du côté du gouvernement. S’opposer juste pour être dans l’opposition, j’appelle pas ça être de gauche, j’appelle ça être con. 

Parce que je ne souhaite pas pendre les patrons, même ceux qui sont des vraies ordures, je suis contre la peine de mort, même pour Hitler. 

Parce que je pense que les réfugiés ne sont pas une chance pour le pays mais un devoir. Je pense qu'il faut les recueillir non pas parce qu'ils auraient quelque chose à apporter, mais parce que si on ne les recueille pas ils vont mourir. Parce que ça ne me scandalise pas que l’Allemagne les accueille avant nous. Je trouve plutôt normal que ce soit le pays qui ait le plus de moyens qui les accueille en priorité.  

 Parce que je pense que chercher à comprendre, ce n’est pas excuser, et que c’est même plus constructif que de ne pas chercher à comprendre. Parce que j'ai déjà dialogué avec des militants FN, sans les insulter. J'ai pas toujours réussi à garder mon calme, c'est sûr, mais j'ai au moins fait de mon mieux pour expliquer pourquoi je n'étais pas d'accord avec leurs arguments. Parce que je me pose sincèrement la question de ce qui peut pousser un individu à renoncer à l'idéal de tolérance et de solidarité qui constituait, quand j'étais jeune, l'identité de la France. 

Ah, et parce que je mets de la crème dans ma carbonara. Bref, je mérite d'être tondue. 

Mais tu vois, Internet, je réfléchis beaucoup à ce qui est gentil et ce qui est méchant, et je n'ai vraiment pas l'impression d'être une méchante personne. Une personne irritable, peut-être. Une personne lâche, à la rigueur. Méchante ? Je ne vois pas. Je ne vois pas quel mal je fais en ayant toutes les opinions que je viens d’énumérer. 

Je ne me soucie pas de l'orientation sexuelle, du sexe ou de l'ethnie des gens à qui je parle. Je me conduits pareil avec tout le monde. J'essaye de déranger le moins possible, et d'être aussi conciliante que possible, mais je le suis autant avec n'importe qui. Je choisis mes amis pour leur personnalités, leur conversation et leur façon de penser. Je ne les juge que sur ces critères. Je ne vois pas envers qui je suis injuste. 

Les manifestants ? J’ai écouté leur version de ce qui s’est passé à l’hôpital Necker. J’ai écouté celle de la presse. Je n’ai pas les moyens de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux, mais je peux au moins me dire que si un enfant avait été blessé, la presse se serait fait un plaisir de nous le dire, et que la suppression des postes du personnel soignant dans les pitaux, c'est un fait connu et avéré, et qu'il n'est pas si idiot de trouver que la sympathie de la ministre de la santé n'est pas fort bienvenue. Tu vois, Internet, je ne juge que sur ce que je sais, et je n'ai pas d'avis sur le reste. Ce n'est pas si injuste.

Les informations qui me parviennent ne sont pas fiables. J'entends deux versions de chaque événement, et je n'ai pas les moyens de savoir qui me ment ou s'il y a réellement mensonge, si ce n'est pas qu'à force de ne regarder que par son bout de lorgnette, chacun ne voit que ce qu'il veut voir. 

Alors, je préfère partir du principe que je ne sais pas. Et tant que je ne sais pas, je vais me méfier de tout le monde et laisser le bénéfice du doute à tout le monde. Je vais simplement me fier à ce que je vois. Lorsque je verrai quelqu'un se conduire mal, je le condamnerai, mais je ne déciderai pas que tout son groupe est comme lui.  

Je n'ai pas besoin que tu m'informes que les gens méchants existent. Je le SAIS. J'ai besoin que tu arrêtes de convaincre les gentils d'être méchants en les accusant d'être des horribles personnes avant même qu'ils aient fait quoi que ce soit d'horrible. 

Est-ce que je suis vraiment une horrible personne si je décide que les choses sont beaucoup plus compliquées que tu ne le dis, et que dans le doute, je ne vais haïr personne ? 

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commentaires

W
"Tout ce qui divise les hommes, tout ce qui les spécifie, les isole ou les parque, est un péché contre l'humanité." <br /> <br /> Cette phrase de José Marti colle bien à tout ceux qui refusent les colliers d'étiquettes qu'on veut leur attribuer :)<br /> <br /> Il y avait aussi celui ou celle qui disait qu'il était agréable d'être haï par des cons qui aurait pu coller mais comme je ne m'en rappelle plus... ^^<br /> <br /> Les valeurs de l'école républicaine (solidarité et tolérance) méritent qu'on s'en souvienne :)<br /> <br /> Mais aussi qu'on les discute, qu'on interroge le caractère auto-proclamé de leur universalisme par exemple. <br /> <br /> Nier l'importance que peuvent avoir le genre, l'ethnie, la religion ou la nation d'une personne pour celle-ci juste parce qu'elle n'en a pas pour nous ne suffit pas pour la libérer de ces étiquettes.<br /> <br /> Ces dernières peuvent d'ailleurs être subies, choisies ou encore débarrassées de leur éventuel caractère exclusif. De la même manière que tu choisis de mettre ce que tu veux dans TES carbonaras ^^<br /> <br /> La discrimination positive est facilement récusable. Mais elle pose la question de la différence entre l'égalité et l'équité, question qui permet de distinguer la droite de la gauche d'ailleurs. Deux valeurs pensées pour être complémentaires, mieux, dépendantes l'une de l'autre. J'ignore si tout ça à encore du sens aujourd'hui.
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A
Ah j'étais aussi à la manif qui allait aux invalides, mais avant d'y arriver franchement quand tu entends certaines personnes dans le métro s'offusquer et puis essentialiser les manifestants comme des feignants incultes qui n'ont pas lu la loi, tu es un peu triste. (le vrai truc qui m'a outré ce sont les chiffres sur le nombre de manifestant, l'écart est tellement énorme, l'un des deux camps à forcement tronquer hyper fort )<br /> <br /> Perso après je me retrouve plutôt dans ce texte. Après je pense qu'internet nous a fait rentrer dans une telle culture de l'immédiateté, que la majorité des propos sont souvent à chaud. <br /> Quand à la presse en général, je fais maintenant hyper attention.
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T
J'y étais pas exprès, en fait. Je rentrais du boulot et j'ai été prise dedans, mais du coup, j'ai eu l'occasion de voir le gars habillé en Louis XIV^^
G
Tu met de la crème dans ta carbonara ??? Mais tu est ignoble !!!<br /> <br /> Blague appart j'ai l'esprit mal placé ou je voit un petit tacle envers ginger force conernant le féminisme ?<br /> <br /> Sinon tu aurait pu parler des chocolatine ^^
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T
Pas Ginger Force en particulier, je la connais davantage pour ses "Adaptations" que pour ses "Pavés dans la mare". Je parle surtout en général. Sinon, c'est vrai, j'aurais du parler des chocolatines.