Al et moi, nous avons parfois la tristesse de constater que nous ne partageons pas l'avis de la majorité, y compris sur des points qui semblent pourtant faire l'unanimité. Et ça nous perturbe beaucoup, car le fait que ces opinions contraires à la nôtre fassent consensus nous paraît incompréhensible. C’est la raison pour laquelle, dès qu'un tel cas de figure se présente, nous nous mettons à en parler tout le temps. En conséquence, depuis un an, les vidéos de CDAL ont énormément évoqué notre incompréhension face au succès de Gravity Falls, et en particulier celui du personnage féminin principal de la série, vendu comme étant la raison principale de la regarder. Bien sûr, comme nous n'abordons ce sujet que lorsqu'il permet d'alimenter une réflexion sur la problématique de la vidéo en cours, nous n'avons jamais réellement abordé la question en détail ; et, à l'issue de notre vidéo sur Scooby Doo ! Mystères Associés, Dr Pralinus a manifesté le désir de savoir une bonne fois pour toutes ce qui fait que ça ne marche pas entre cette série et nous. La sortie de notre vidéo Phinéas et Ferb - où nous évoquons pour la première fois l'ultime problème que nous avons avec cette série, c’est-à-dire le style d'humour - est l'occasion de répondre à sa question. (Vous noterez qu'énormément d'article de ce blog sont inspirés par Dr Pralinus, je devrais peut-être lui verser des Royalties – enfin, si le blog me rapportait de l’argent :p)
En un an, notre obsession pour Gravity Falls a eu le temps d'exaspérer deux trois personnes, mais nous a surtout donné l'occasion de discuter avec des fans de la série et de les interroger sur ce qui fait que ce qui nous semble inintéressant parait intéressant à d'autres gens, et me donne donc la possibilité de vous donner un avis plus éclairé que je n'aurais pu le faire il y a un an. Mais je vous livre la conclusion tout de suite : Gravity Falls, c'est clairement une série que nous ne comprenons pas, et ne pouvons probablement pas comprendre, parce qu'elle n'est pas faite pour nous. En conséquence, cet article ne sera pas le rapport d’éléments factuels qui renseignera sur le contenu de la série elle-même, mais bien le résumé d'une expérience personnelle et subjective, et des éléments qui expliquent que cette expérience a échoué.
Pour résumer en peu de mots, nous avons trois problèmes avec Gravity Falls :
- Nous ne comprenons pas l'esthétique
- Nous ne comprenons pas l'humour
- Nous ne comprenons pas le traitement des personnages, en particulier celui de Mabel.
La question de l'esthétique est celle pour laquelle notre problème avec Gravity Falls est le plus facile à comprendre. Avoir vu suffisamment de séries animées pour faire 7 ans de vidéos mensuelles crée chez nous des attentes, des attentes que Gravity Falls contrarie. Nous avons abordé la série en ayant déjà en tête une idée de comment devait être une série mi-humoristique mi-fantastique qui emprunte aux codes de l'horreur. Nous sommes restés sur notre faim en ne trouvant pas dans Gravity Falls les jeux de lumière, les angles, les jumpcuts qu'on parodie d'habitude quand on parodie l'horreur. Partant du principe que la série n'était pas une parodie mais une vraie série d'horreur sérieuse, nous sommes restés sur notre faim également, car à quelques rares moments près, la mise en scène ne nous a pas semblé camper efficacement l'ambiance angoissante. Encore une fois, la musique, les lumières, le rythme des épisodes ne nous ont pas parus agencés comme il fallait pour angoisser le spectateBref, nous avons eu le tort de nous attendre à quelque chose, et nous ne l'avons pas trouvé, ce qui explique que nous ayons été déçus.
Cependant, ces attentes que nous avions ne sont pas le seul élément qui justifie notre incompréhension vis-à-vis de l'esthétique. A ce stade-là, nous aurions pu à la rigueur nous dire que la série avait l'intention d'être une parodie d'horreur, ou une série d'horreur sérieuse, mais échouait. Au lieu de dire que nous ne comprenons pas l'esthétique, nous aurions pu nous dire que l'esthétique est ratée. Sauf que la série semble n’avoir ni l'intention d'être une parodie, ni l'intention d'être une série d'horreur, et il n'y a aucun élément de mise en scène qui soit clairement raté. Le fait de ne pas savoir quel but sert la mise en scène ne nous empêche pas de voir qu'elle semble conforme à ses intentions, même si ces intentions nous échappent. La mise en scène est cohérente de bout en bout. Gravity Falls est efficace pour ce qui est d'être Gravity Falls, quoi que soit Gravity Falls : tout ce qui y est y parait fait exprès.
Au bout de plusieurs épisodes, nous avons décidé de renoncer à voir cette série comme une série d'action-aventure parodie d'horreur, et avons essayé d'admettre qu'il s'agissait en réalité d'un sitcom avec des éléments fantastiques dedans, façon Max et Compagnie. Le fait qu'un fil rouge autour de la partie fantastique de l'intrigue finisse par se développer dans la saison 2 ne venait pas contredire cette interprétation de la saison 1. On a pu considérer que la série était principalement un sitcom qui finissait par avoir une partie action/aventure, sans pour autant que la partie sitcom cesse d'être importante. Mais prendre ce parti ne nous a pas permis pour autant d'adhérer à ce que la série était. Pour adhérer à un sitcom, il faut s'intéresser aux personnages, il faut s'intéresser à ce qui leur arrive, et surtout, il faut que ce qui leur arrive nous touche. Si nous avons bien compris - et à ce stade on ne peut plus jurer de rien - le sujet principal de la série, c'est la puberté de Dipper ; plus exactement, le fait que Dipper doive gérer son entrée dans la puberté en plus de son entourage déjà difficile à gérer. Même en tant qu'adultes qui ont vécu leur puberté il y a bien longtemps, nous devrions être touchés par ça. Dipper est un personnage sympathique, pour qui on a de l'empathie, et la puberté est effectivement une étape très importante de la vie. Cependant, il y a tout de même quelque chose dans l'ambiance de cette série qui nous empêche d'adhérer, et ça, pour le coup, c'est irréductible, c'est vraiment une question de goûts et de couleurs. La série insiste énormément sur l'aspect cru et sale des choses. Elle insiste sur le fait que la puberté, pour Dipper, c'est qu'il transpire et que ça pue. Elle insiste sur le fait que quand des enfants jouent sur la plage au soleil, ils ont des coups de soleil affreux. C'est douloureux à voir pour des gens très sensibles comme nous. Al me dit qu’il a le souvenir d’avoir trouvé ce genre de choses drôles quand il était petit, donc ce choix de mise en scène est sans doute un parti pris humoristique… Ce qui nous amène à la question des gags.
En effet, concernant l'humour, il va être difficile de s'expliquer parce que nous ne sommes même pas en mesure d'analyser le moindre gag de la série pour justifier qu’il ne nous ait pas fait rire. Nous nous voyons dans l'incapacité d'identifier les gags comme des gags. Nous savons que la série est humoristique parce qu'on nous a dit qu'elle était très drôle, nous voyons également que le style de dessin et la structure des épisodes est typique des séries humoristiques, mais c'est ballot, nous ne SAVONS PAS à quel moment de l'épisode il y a des blagues. Oui, c'est à ce point là. Nous sommes si hermétiques à l'humour de cette série que nous ne pouvons même pas repérer où il est. Du coup, impossible d'analyser pourquoi il ne marche pas sur nous. Une âme charitable dans nos commentaires nous a rapporté un gag, pour alimenter notre réflexion :
(Dans l'épisode du minigolf, à propos des gnomes)
Dipper: Je me demande bien quels petits bricolages mignons il y a à l'intérieur chez eux :-)?
Pendant ce temps, dans la mine: "Attention au coup de grisou! Jack n'y va pas tu vas y rester! -Non je dois le faire! "Musique épique"
Je suppose que le gag est qu'il y a un contraste entre ce que Dipper s'imagine et la réalité du quotidien des gnomes, et que le fait que cette réalité soit cruelle mobilise trop notre attention pour que nous trouvions ça drôle par rapport à ce que Dipper s'imaginait. Toujours est-il qu'en effet, en voyant ce passage, nous n'avions pas remarqué qu'on était censé rire de cette situation.
Pour être justes, la personne qui a eu l'aimabilité de nous rapporter ce gag nous en a également rapporté un autre, qui était plus identifiable comme étant un gag, et que nous avions identifié comme tel. C'est juste que les moments où nous avons compris qu'il fallait rire sont très rares dans cette série, et que quand on nous dit qu’elle est incroyablement drôle, nous ne comprenons pas.
Nous en arrivons à la partie la plus importante : les personnages.
Ce que je vais vous dire va vous surprendre, vu tout le mal que je dis de la série, mais les personnages sont très bien campés. Plus exactement, à part le personnage de Wendy dont je ne comprends franchement pas l'attitude vis-à-vis de Dipper, ces personnages sont extrêmement crédibles. On les croise dans la vraie vie tous les jours. La question de savoir s'ils sont sympathiques est une autre histoire, mais ce n'est pas ma préoccupation ici car la raison pour laquelle nous avons accroché ou non à tel personnage est plutôt indépendante de la question de s'ils sont sympathiques ou non.
Dipper est, comme j'ai dit, quelqu'un de très sympathique. Il essaye de gérer le fait que son corps est en train de se transformer tout en supportant les excentricités de sa sœur, la froideur de son oncle, et le jeu cruel que lui fait l'élue de son cœur en laissant trainer ses soutiens gorge quand il est dans sa chambre, et il arrive à rester décent avec toutes ces personnes qui lui pourrissent la vie. Cependant, le scénario et les autres personnages le traitent comme si, en plus d'être ça, il était également un surdoué et un héros. Or, ça, rien de factuel dans la série ne vient le montrer. Il ne manifeste jamais de compétence intellectuelle particulière, juste un certain intérêt pour des choses qui sont de toute façon intéressantes, et n'accomplit jamais spécialement de haut fait (à part celui, bien sûr, de passer vingt-quatre heures avec Mabel sans l'assassiner, qui est un exploit digne des travaux d’Hercule, mais ce n'est pas de ça que la série parle :p). D'ailleurs, j'ai dit que les personnages de la série sont ceux qu'on rencontre dans la vraie vie. On y rencontre rarement des surdoués et des héros. Dipper est un petit garçon ordinaire, dont l'intérêt dans la série devrait être d'être un petit garçon ordinaire, mais à qui l'intrigue demande d'être un surdoué et un héros. Ce décalage entre ce que le personnage est et ce qu'il devrait être compte tenu du scénario et de la façon dont les autres personnages le traitent empêche d'apprécier ce qu'il y a à apprécier chez lui.
Même chose pour le personnage de Mabel, dont nous avons énormément parlé dans nos vidéos. Là encore, je vais sans doute vous surprendre, mais ce n'est vraiment pas le personnage lui-même, le problème. Elle aussi, elle est très bien campée. Son personnage de petite fille égocentrique et surexcitée, incapable de se mettre à la place des autres et persuadée que ce qui lui fait du bien à elle fera du bien à tout le monde, donc qu'en suivant ses lubies, elle rend service à l'humanité, c'est également un personnage qu'on rencontre dans la vraie vie. Bon, c'est le genre de personne qu'on n’a vraiment pas envie de fréquenter dans la vraie vie, mais que, par contre, nous avons croisé plusieurs fois dans la fiction sans qu'il nous rebute. Mabel, c'est Rigel dans Goldorak, c'est Poussinette dans Myster Mask, deux personnages que nous avons énormément appréciés dans leurs séries respectives, et au sujet desquels, si on nous avait dit qu'ils étaient la principale raison de regarder les séries en question, nous n'aurions pas été très surpris. Bref, non, notre problème avec Mabel, ce n'est pas Mabel elle-même, c'est, comme pour Dipper, le décalage entre ce que ce personnage est dans les faits et ce que le scénario ou l'attitude des autres personnages vis-à-vis de lui implique qu'il soit.
Poussinette et Rigel sont traités, dans leurs séries respectives, comme ce qu'ils sont : des personnages qui foutent le bordel, déclenchent des gags et des catastrophes, sont moqués, blâmés et punis pour ça, mais appréciés quand même parce que leurs excentricités sont source d'amusement pour leur entourage. Lorsque Mabel se rend coupable d'un abus vis-à-vis de son frère, la série ne met pas en scène le moment où elle doit rendre des comptes pour ce qu'elle a fait, ne l'expose pas à un retour de bâton, et ne la fait jamais se remettre en question. Elle ne met pas en scène non plus le fait que Dipper attend d'elle qu'elle se remette en question, ou même le fait que Dipper arrive à se débrouiller pour réparer le mal que Mabel a fait. Quand Mabel l'oblige à s'humilier devant Wendy, il s'humilie devant Wendy, il n'arrive pas à s'en sortir par une pirouette, comme Actarus quand Rigel se met en danger à cause de son amour pour les extraterrestres, ou Myster Mask quand Poussinette débarque sur le terrain pour se mêler des enquêtes de son père. Le problème n'est pas que Mabel fasse du mal à son frère, le problème, c'est qu'elle le fasse en toute impunité et que la série n'ait pas l'air de considérer que gâcher la vie de son frère, c'est mal.
Mais plus important, le problème que nous avons avec Mabel, c'est que, comme nous l'avons dit plus tôt, elle est campée de manière crédible, comme un personnage réaliste. Si, si, je vous jure. Autant Pinkie Pie (que nous critiquons à peu près pour les mêmes raisons) est bizarroïde même selon les standards de My Little Pony, autant Mabel n’est irréaliste ni vis-à-vis de sa série, ni vis-à-vis de la réalité. Quand nous voulons résumer pourquoi nous détestons ce personnage, nous citons toujours la scène ou Bill Crypto lui laisse le choix entre sacrifier son frère ou sacrifier le spectacle marionnettes destiné à séduire son crush du jour, et où, incroyable, elle envisage quelques secondes de sacrifier son frère, et n'y renonce d'ailleurs que parce que Bill a le malheur de dire une réplique de trop qui la fait changer d'avis. Si cette scène est aussi choquante, c'est parce que Mabel n'est pas un personnage caricatural. C'est une petite fille comme on en rencontre en vrai, et on s'attend à ce qu'elle agisse comme un véritable être humain. Car en effet, elle est très excentrique, mais les gens très excentriques, à plus forte raison les enfants très excentriques, ça existe. La scène est donc en train de nous dire qu'un véritable être humain, c'est prêt à vendre le corps de son adorable frère pour une chance de plaire à un garçon qu'il connait à peine. Mettre ça en scène comme si ça allait de soi, ça nous paraît antipathique et vexant.
Il y a une scène similaire dans Phinéas et Ferb, où Candice doit choisir entre sauver Phinéas ou sauver la preuve de ce que font ses frères, et hésite. Mais Phinéas et Ferb n'est pas une série réaliste, Candice n'est pas un personnage réaliste, accessoirement elle est ce qui se rapproche le plus d’un antagoniste dans la série, donc le scénario ne la traite pas toujours comme un personnage positif (elle est un stormtrooper fanatique dans l’épisode à la Star Wars !), et surtout, le fait qu'elle mette une plombe avant de décider qu'elle n'a pas le temps de sauver à la fois la preuve et Phinéas est un gag, ce n'est pas mis en scène comme quelque chose de beau et tragique, mais comme quelque chose d'incongru et drôle. La scène n'est pas choquante parce qu'elle ne nous prétend rien sur ce que ferait un véritable être humain dans cette situation, elle montre des personnages de cartoons dans une situation de cartoon. Si vous me dites que c’est également le cas dans Gravity Falls, alors c’est une preuve supplémentaire que, décidément, nous n’en comprenons pas l’humour.
Quoi qu’il en soit, c’est la raison pour laquelle je ne dis pas, et ne dirai plus, que nous n'aimons pas les personnages de Gravity Falls, seulement que nous ne comprenons pas leur traitement.
Le personnage de Stan, qui est traité comme un escroc quand il fait des escroqueries, et comme un oncle aimant quand il agit en oncle aimant ne nous a posé aucun problème et ne nous a jamais paru ni antipathique, ni sympathique.
En un mot comme en cent, Gravity Falls, c'est sans doute une bonne série, mais vraiment, nous n'avons pas adhéré au délire, et nous n'avons pas apprécié.