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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 18:52

Dans l’épisode précédent, nous avons vu que parler d'une fiction sans avoir de base commune rend impossible toute discussion sereine

Dans Avatar, le dernier maître de l'air, Aang, dernier survivant d'un peuple entièrement décimé fait visiter à ses amis les vestiges d'un temple érigé par son peuple disparu, pour découvrir que celui-ci a été investi par de nouveaux habitants qui y ont organisé leur vie, détruisant au passage quelques œuvres d'art qui y était exposée. 

Aang est mortifié par le saccage mais obligé de l’accepter. La civilisation à laquelle ce temple appartenait a disparu et la nouvelle génération doit bien vivre et penser à son propre confort, dans les murs de ce temple. 

Quelqu’un dont je ne doute pas de l’honnêteté me demandait l’autre jour sur le discord si nous avions vraiment le droit de nous opposer, au nom de l’esthétique, à la prolongation d’œuvres de notre jeunesse, de clamer notre dégoût pour ces prolongations avant même qu’elles ne soient sorties. Après tout, nous ne sommes pas la cible de ces nouveaux opus. La cible, c’est la jeunesse de maintenant. Est-ce qu’en s’opposant à ces sorties, nous ne sommes pas de vieux cons qui essayent d’imposer notre civilisation dans un monde auquel nous n’appartenons plus, dans lequel nous ne sommes plus, de par notre vieillesse, que des invités qui outrepassent leurs droits en exigeant du monde qu’il suive leurs règles lorsque le monde est passé à autre chose depuis longtemps ? 

En d’autres termes est-ce qu’il faudrait céder Star Wars aux jeunes d’aujourd’hui ? Qui sommes-nous pour décréter que le nôtre est le meilleur au seul motif qu’il est arrivé avant et surtout la fiction est-elle suffisamment importante pour justifier de jouer les emmerdeurs auprès de pauvres téléspectateurs qui veulent juste profiter de leur épisode du Mandalorien sans rien demander à personne ? Puisqu’il doit y avoir un perdant dans l’histoire et que le monde ne nous appartient plus du fait de notre vieillesse, est-ce qu’il ne faut pas, juste, accepter d’avoir déjà perdu ? 

Posons-nous la question. Posons-nous la sincèrement. Faut-il graver les fictions dans le marbre ? Les différentes mythologies et légendes se sont construites au gré de multiples réécritures qui se sont faites au cours du temps. A très long terme un sens a fini par se dégager. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux laisser le destin faire son cours pour les fictions qui nous tiennent à cœur et laisser le temps en dégager la substantifique moelle pour en faire des légendes ? 

Je m’efforcé d’envisager cette option aussi honnêtement que possible, d’autant qu’il n’y a pas vraiment d’alternative. Mais si je dois être complètement sincère, pour moi, la réponse reste non. 

Un présent fondé sur la négation des événements passé est fragile. Une fiction bâtie sur des événements qu’on doit pourtant effacer pour lui permettre d’exister n’a pas d’identité. Même en considérant l’histoire comme un simple produit de consommation, que reste-t-il à consommer dans une suite dont on ne sait pas de quoi elle est la suite ? Quels sens peut-on donner aux images qui bougent devant nos yeux si on doit s’empêcher de se souvenir de ce qu’elle signifie ? 

Même si la fiction n’avait aucune importance _ et je persiste à dire qu’elle en a _ rend-t-on vraiment service aux jeunes en les autorisant à nier que ce qui a existé a existé ? Ne leur ferme-t-on pas la porte à toute possibilité de vivre en compagnie des autres ? 

Les nouveaux habitants du temple de l’air Boréal dans Avatar, le dernier maître de l’air ont le droit à un toit sur la tête donc le droit d’investir un bâtiment inoccupé. Ils ont le droit de l’aménager pour leur confort en installant des tuyaux pour faire circuler de la vapeur. Mais ont-ils le droit de le faire sans se préoccuper des fresques qu’ils détruisent ? Est-ce que le peu de valeur de ces fresques, comparé à leur survie et leur bien être suffit à justifier cette légèreté ? Peut-être. Mais peut-être aussi que dans la foulée, les premières personnes qu’ils privent de la beauté de ces fresques, c’est eux-mêmes. Peut-être que ces fresques leur apporteraient quelque chose d’aussi précieux que le confort et la chaleur s’ils prenaient le temps de les regarder. 

Je passe volontairement sur la question de savoir si le peuple de l’air auquel j’appartenais a disparu… et qui l’a fait disparaître. Ce qui m’intéresse, c’est cette attitude des nouveaux nomades de l’air dans le temple de l’air Boréal. Ont-ils délibérément choisi de sacrifier le témoignage du passé au profit de l’avenir ? Ou n’ont-ils simplement pas vu, pas réfléchi ? Je veux surtout poser cette question-là. En autorisant les jeunes à effacer Star Wars pour le réécrire leur donne-t-on ce qu’ils veulent ou ce qu’ils croient vouloir faute de savoir ce qu’ils pourraient avoir ? 

Lorsqu’il a été l’heure d’écrire un nouveau Star Wars pour la nouvelle génération, avec un nouveau Seigneur des Ténèbres, un nouveau Chevalier Noir, et le Jeune Homme remplacé par une Jeune Fille pour ne pas être réac, il aurait été possible de reprendre l’histoire au début, de raconter une nouvelle version, avec quelques péripéties différentes et un héros féminin. Mais non, ce qui a été réclamé, ce qui a été vendu, ce qui a été acheté, c’est une suite. Une suite qui rompt avec tout ce qui constitue ce dont elle est la suite sans pour autant renoncer à en être la suite. Le choix de renoncer à son Star Wars serait plus facile à accepter s’il nous était imposé par des gens qui reconnaissent qu’ils veulent le détruire, par nécessité, par désir de progresser, par haine ou parce qu’ils sont sûr qu’un plus grand bienfait pourrait en être tiré. En tant que Aang nous essayons de signaler : « Attention, sous votre tuyau, il y a des fresques » en étant prêts à accepter la réponse comme quoi ces fresques sont moches ou sans importance. Mais jamais on ne nous répond cela. On nous dit que si, si, on aime la trilogie originelle, si si on aime le couple du Contrebandier et de la Princesse, on aime le héros accomplit que le Jeune Homme devient à la fin on aime la rédemption du Chevalier Noir… Et que c’est pour ça qu’on désire ardemment une suite où le couple s'est séparé, le héros est devenu une horrible personne et la rédemption du Chevalier Noir est devenue insignifiante à tous les niveaux. Ça a peut-être une cohérence imperceptible mais nous ne la percevons pas. Nous avons juste le sentiment que notre interlocuteur se contredit, alors nous insistons, nous insistons pour amener la personne soit à nous justifier cette incohérence soit à en prendre conscience. Mais notre insistance a tôt fait d’être plus remarquable que notre argumentation et notre interlocuteur cesse de nous écouter en nous catégorisant « vieux con ». 

Star Wars, c’est l’histoire d’un débat qui devrait avoir lieu et qui n’aura jamais lieu. J’ai détaillé les raisons qui me semblent expliquer cette impossibilité de débattre. Je n’ai pas de solution. Mais je suis sûre d’une chose. Aang n’est pas un vieux con. Aang a le droit de pleurer sur ses fresques disparues. 

 

A suivre

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