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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 10:09

Dans l'ancien temps, avant Internet, vous savez, à l'époque où j'allais à l'école en dinosaure, tout était différent. Non, pas à cause des dinosaures. Avant, déjà, je choisissais mes amis non pas en fonction des goûts ou modes de pensées que j'avais en commun avec eux, mais en fonction de leur proximité géographique. Autant dire que ma vie sociale se résumais à me taire prudemment quand on me faisait la remarque que je devrais écouter autre chose qu'Anne Sylvestre comme musique, et regarder Hélène et les Garçons, parce que c'est vachement bien, c'est l'histoire de gens qui sortent ensemble, et puis ils s'aiment, et puis des fois ils se disputent et à la fin ils se réconcilient...

Mais surtout, avant Internet, si je voulais dire à Anne Sylvestre, justement, combien, malgré le mépris que son écoute me valait auprès de mes pairs, ses chansons me touchaient au plus profond de l'âme, il fallait que je lui adresse un courrier, dont je n'étais pas sûre qu'il lui parvienne, qu'elle ait le temps de le lire, et auquelle elle ne répondait jamais, impossible de répondre à tous. Oui, certes, je l'ai fait, et la lettre a été très belle et très bien écrite, faite et refaite vingt fois avant d'être envoyée. Fin de l'histoire.
Aujourd'hui, grace à twitter, facebook, les blog, les forums, les réseaux sociaux, on a d'avantage de chance que Maître Eolas réponde à un twitt, que Linkara vous remercie pour vos encouragements, que le Joueur du Grenier réponde à vos questions, et surtout, surtout, tout ce beau monde PRENDS EN COMPTE les remarques et critiques que vous, simple internaute, avez à formuler sur son oeuvre. Certes, vos twitts, commentaires, autres, sont plus spontannés, courts, et mal écrit, que les lettres des chevaucheurs de dinosaures comme moi à leurs idoles. Certes, en lisant ceux des autres, vous voyez que ce que vous avez à dire a déjà été formulé plusieurs fois. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est que la personnalité qui communique avec vous par cet intermédiare prends le temps de le faire, et que les messages que vous et les millions d'autres followers faites ne sont pas criés dans le vide.

Les conséquences de cette communication plus égalitaire entre l'auteur et son public se remarquent. A l'époque des dinosaure, si une chanson d'Anne Sylvestre ne me plaisait pas, je devais accélérer la cassette audio (oui, l'époque des dinosaures, j'ai dit), jusqu'à la chanson suivante, et si un disque qu'elle n'aimait pas n'était pas réédité, je n'avais que mes yeux pour pleurer le jour où je me faisait voler mon exemplaire, parce que je ne pourrais plus écouter les chansons disparues (Anne, pourquoi avoir supprimé "Madame ma voisine" de votre répertoire ?). Aujourd'hui, je peux exiger à corps et à cris que MrTrololo refasse un live (l'homme en question est décédé à l'heure ou j'écris ces lignes, mais le live a bien eu lieu). En un mot comme en cent, moi, public, j'ai voie au chapitre.
Ces derniers mois, deux événements ont fait grand débat dans ma communauté d'amis.
Premièrement, Code Lyoko, une série animé que moi et mes amis suivions avec passion il y a quelques années, et qui s'était arrêtée sur une fin bien conclusive va se voir faire une suite en live action. Le public internaute l'a demandé pendant cinq ans, et le public internaute l'a obtenu. Bien des indices laissent transparaître que ce projet n'est pas aussi aisé qu'il y paraît pour la production, mais en tout cas, tous les communiqués de presses sont unanimes sur un point, si le projet existe, c'est parce que l'on a cédé aux réclamations du public.
Plusieurs éléments font que cette future suite est contreversée. J'ai déjà parlé du fait de faire une suite après une fin fermée dans un autre article. J'y ajoute le fait de passer du dessin animé à la série live, et la méconnaissance de la série d'origine par les réalisateurs qui transparaît dans les communiqués de presse. Mais le public a exigé cette suite et l'a obtenue, en dépit de la décision des auteurs de ne pas en faire.
Deuxième cas, plus connu encore, Mass Effect, ce jeux vidéo très apprécié  dont le troisième volet, sorti cette année, concluait l'histoire d'une manière frustrante, pessimiste, et contestable d'un point de vue logique. Le public internaute a crié au scandale si fort que la compagnie de production du jeu a annoncé un DLC pour expliquer d'avantage le sens de la fin. Le public a continué à crier, et au final, le DLC n'est pas une explication de sens, mais bien une correction des éléments dérangeants de cette fin. La correction en question ne portant que sur l'aspect pessimiste et frustrant, et ne corrigeant pas les défauts de logique, elle ne satisfait pas tous ceux qui ont contestés, mais les faits sont là, le public a réclamé qu'on change la fin, et on l'a changée. Mieux encore, on l'a changée après avoir annoncé qu'on ne la changerait pas mais qu'on l'expliquerait pour la rendre plus acceptable.
Bon, je reconnais, le phénomène existaient déjà à l'époque des dinosaures. La preuve, Conan Doyle a bien du ressuciter Sherlock Holmes. Mais je garde quand même le sentiment qu'il se produit d'avantage aujourd'hui, et que les auteurs qui modifient leur oeuvres devant la réaction du public le font plus rapidement. Je ne suis pas la seule à soupçonner J.K. Rowling d'avoir modifié ses projets de base pour Harry Potter, en particulier en ce qui concerne les intrigues sentimentales, en observant les réactions des fans. Si c'est le cas, on parle d'un auteur qui modifie son texte avant même que celui-ci soit publié.
Donc, la question qui se pose est : l'auteur n'est-il pas le seul en droit de décider de ce que doit être son oeuvre ? Faire une fin frustrante, pessimiste et illogique n'est-il pas son droit d'auteur ? Arrêter sa série à partir d'un point ne l'est-il pas non plus ? Mais en même temps, le public n'a-t-il pas le droit de manifester son mécontentement ?
Je ne parle pas ici de la qualité de l'oeuvre et ce ce qu'il convient de faire pour l'améliorer. On ne peut pas dire objectivement qu'une oeuvre est de qualité ou non. On peut dire qu'elle est inadaptée pour tel public, que sa fin est douloureuse, qu'il y a un manque de logique dans l'intrigue, que peu d'efforts semblent avoir été fait sur tel ou tel aspect, ou que tel élément est en contradiction avec ce qui semblait découler de l'oeuvre avant mais décider objectivement qu'une oeuvre est bonne ou mauvaise n'est pas possible, c'est à l'appréciation de chacun. La question est bien : quelle est la limite de ce que le public a le droit de faire, quelle est la limite de ce que l'auteur a le droit de faire?
Si le public devient souverain et peut faire modifier l'oeuvre au gré de sa volonté, l'absence de liberté laissé à l'auteur aura pour conséquence qu'il n'y aura plus d'oeuvre originale, d'oeuvre personnelle, d'échange d'âme à âme entre l'auteur et son public. Mais si l'auteur s'enferme dans son bureau et reste seul face à sa feuille de papier, qui le poussera à aller aussi loin qu'il peut, à se dépasser et à faire de son oeuvre ce qu'il pouvait donner de meilleur ?
Ceux qui ont une opinion sur cette question sont conscients du prix que coûte leur position. Ils estiment qu'il vaut mieux des oeuvres de qualité plutôt que des oeuvres personnelles, ou l'inverse, mais ils ont fait leur choix en connaissance de cause, et par conséquent, les deux positions se respectent. Aucun extrême n'est bon à prendre, mais on ne peut reprocher à quiquonque de pencher plutôt d'un côté que de l'autre. Je pense que la suite de Code Lyoko sera très dommageable à l'oeuvre originale, que la correction de la fin de Mass effect 3 était une bonne chose, que Sherlock Holmes n'aurait pas du être réssucité et que J.K. Rowling aurait du s'en tenir à son plan de départ, mais que peut-être il m'aurait moins plu que le résultat final. Je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou mauvaise attitude générale à avoir, et que chaque cas nécessite d'être jugé de manière indépendante. Mais il y a une chose sur laquelle mon opinion est arrêtée. Je pense que le fait que l'auteur et le public puisse communiquer est une bonne chose. Certes, ça exige de l'auteur beaucoup de recul et de sagesse pour juger de combien d'exigences il peut prendre en compte sans se trahir lui-même, et ça ne lui facilite aucunement la tâche. Mais le fait est que l'oeuvre, une fois créée n'appartient pas qu'à son auteur, et se doit de n'être abandonnée au public et n'entrer dans le patrimoine mondial qu'après être devenue la meilleure version possible d'elle-même.
En ce qui me concerne, si j'écrivais pour moi, je me contenterai de tenir un journal. J'écris parce que je veux provoquer chez autrui des sensations porteuses de sens et profitables. Ce choix d'auteur implique que je tienne compte des informations qu'autrui me donne sur la façon dont il fonctionne, et également que je tienne compte de qui je suis, ce qui, en moi, doit être partagé, de ce que je veux atteindre comme objectif. C'est pourquoi je veux que mon lecteur soit un interlocuteur, et non pas un réceptacle pour ce que j'ai écrit. C'est également pourquoi que je lui dit parfois : "Non, ça, je vais le laisser tel que je l'avais écrit, c'est tel que je voulais, même si ça te déplait. La façon dont ça te déplait ne contredit pas mon choix d'auteur et n'entrave pas mon objectif". Parce que ce que j'écris, c'est ce que j'ai à donner.


 


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commentaires

G
Vous pouvez répétez la question s'il-vous-plaît ? ^^"<br /> Oui, les extrèmes ne sont jamais bons, on est tous d'accord là dessus.
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