Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 16:41

Avoir un salaire, c’est important. Pas seulement parce qu’il faut bien manger trois fois par jour, dormir sous un toit, payer la taxe d’habitation, les charges, la mutuelle, l’assurance vie, l’assurance sécurité civile, l’assurance logement, l’assurance carte bleue, l’assurance accident, le plan épargne logement, le plan épargne retraite, et que rien que tout ça, ça fait déjà beaucoup plus que ce que peut toucher un chômeur, ou un RSAiste, alors nous ne parlons même pas des plaisirs futiles comme aller au cinéma, acheter un livre, ou porter des vêtements qui ne soient pas usés jusqu’à la corde.

Non, pas seulement.

Aussi parce qu’avoir un salaire, ça signifie que quelqu’un a estimé que votre travail est suffisamment valable, suffisamment utile, pour qu’on l’achète, et il vous paye pour l’avoir fait. En le faisant, il reconnaît votre valeur d’individu, votre utilité à la société dans laquelle vous êtes né.

La société en question, vous ne l’avez pas choisie. Être né dedans, vous ne l’avez pas choisi non plus. Pourtant, depuis que vous êtes né, on vous demande de payer pour y être. C’est un peu fort de café, sachant que vous n’avez rien demandé, qu’on vous a mis le produit dans les mains de force et qu’ensuite on vous a dit « voilà, ni repris, ni échangé, c’est 1500 euros par mois minimum, et y a des suppléments si vous voulez le bonheur en prime ». Mais bon, vous n’avez pas le choix, vous existez, donc il faut payer. Pour l’instant, vous ne visez que le remboursement de votre dette d’existence, sans les suppléments pour avoir droit à la culture, à l’habillement et aux loisirs. . Il faut donc vendre quelque chose pour trouver de l’argent. Et comme pour l’instant, vous êtes déficitaire, vous n’avez à vendre que votre travail.

Le problème, c’est que votre travail, c’est d’être artiste. Attention, pas forcément Van Gogh ou Balzac, ou Jouvet, ou Truffaut. Vous pouvez être petit artiste du dimanche, qui s’efforce de faire de son mieux avec ce qu’il a, qui bosse dur pour se perfectionner dans son art, s’y consacre avec passion, y croit comme une religion, produit des trucs qu’il aime, ou pas. Oh, bien sûr, vous essayez d’être raisonnable, vous essayez d’avoir un vrai métier à côté, mais le fait est que les vrais métiers, vous n’y êtes pas autant à votre place que dans votre art, et le travail que vous faites dans vos vrais métiers, personne ne veut l’acheter, personne ne le trouve assez valable pour l’acheter. Vous-même, vous ne l’achèteriez pas, vous n’êtes franchement pas doué pour ça, ce n’est pas vous, ça ne vous ressemble pas, ce n’est pas ce que vous savez faire.

Ce que vous savez faire, c’est être artiste. Alors ce serait normal que votre dette d’existence, vous la payiez en étant artiste. Ce serait normal que votre art, on vous l’achète.

Le problème, c’est que l’art, c’est comme l’amour. Ca ne s’achète pas. Ca ne se vend pas. Ca se donne. Ca se reçoit. L’art, c’est une expérience. Ca se vit. On n’achète pas le sentiment d’émerveillement qu’on éprouve devant un magnifique tableau. On n’achète pas les larmes qu’on verse sur un livre. On n’achète pas l’excitation qu’on éprouve à entendre l’acteur respirer sur la scène du théâtre. On n’achète pas le délicieux oubli qu’on éprouve devant un film. On achète le droit d’accéder à l’œuvre qui vous procure ces émotions, c’est tout. La rencontre, ou non, du spectateur avec l’œuvre, elle se fait indépendamment de cet achat.

En plus, cette émotion, tout le monde devrait y avoir droit. Même ceux qui n’ont pas encore réussi à payer leur dette de vie, et pas encore réussi à amasser assez pour accéder aux suppléments. On ne devrait pas interdire à quelqu’un qui n’a pas les moyens de la payer la sagesse que procure la rencontre avec une œuvre.

Vous-même, au plus profond de vous, vous aimeriez bien payer votre dette de vie, et vous n’avez que votre art à vendre, mais vous n’avez pas envie de vendre, vous avez envie de rencontrer. Vous avez envie qu’un public vibre devant votre œuvre, vibre spontanément, sans se sentir obligé de vibrer parce que sinon, l’argent qu’il a versé serait de l’argent gaspillé. Vous voulez être choisi en toute connaissance de cause, sans que ce choix soit faussé par un prix. Vous voudriez d’ailleurs que votre œuvre ne soit pas réduite à un prix qui a été fixé sans tenir compte de sa valeur réelle, puisque l’art n’a pas de prix. Vous ne demandez qu’à donner votre art. Mais il faut bien que vous viviez, alors il faut bien que quelqu’un vous paye pour être un artiste.

Si on pirate votre livre, votre chanson, votre film, c’est franchement embêtant, parce que du coup, vous ne gagnez rien, vous restez déficitaire, vous ne pouvez pas payer votre dette d’existence. C’est embêtant, parce que pour garder votre droit d’être en vie, il va bien falloir que vous renonciez à être artiste, que vous vous consacriez à devenir quelqu’un d’autre, quelqu’un qui sait faire un vrai métier, quelqu’un qui s’intéresse à un vrai métier. Pourtant, si on pirate votre œuvre, c’est qu’on veut la rencontrer. Et vous-même, qui êtes déficitaire de l’existence, vous n’avez pas d’autre moyen de rencontrer les œuvres des autres artistes, que de les pirater…

Partager cet article
Repost0

commentaires