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3 février 2014 1 03 /02 /février /2014 14:03

Bon, parlons de « Le vent se lève ».

Dur. Je ne sais pas du tout comment expliquer mon ressenti. En fait, ça se résume à « je ne comprends pas ».

Je ne comprends pas quelle histoire on a voulu nous raconter. J’ai une série d’hypothèses, et pour chacune, quelque chose dans la façon dont le film est fait ne colle pas.

Première hypothèse. C’est l’histoire d’un homme qui consacre sa vie à la construction d’un avion. C’est si important pour lui que, lorsqu’il rencontre une femme tuberculeuse et qu’il l’épouse, il ne peut pas migrer avec elle vers des climats plus sains où elle a une chance de guérir. Pour qu’il n’ait pas à renoncer à la construction de son avion, elle reste toute seule pendant des journées entières, sans assistance médicale, mal soignée, ne voit son mari que très brièvement avant de s’endormir, et n’exige même pas qu’il consacre ce bref temps à lui tenir compagnie, acceptant qu’il continue à travailler pendant qu’elle n’a rien d’autre à faire que s’endormir, pour se réveiller le lendemain seule et passer seule les dernières journées qui lui restent à vivre, sans espoir de profiter de sa vie avant que la tuberculose l’emporte. Lorsque l’avion est enfin prêt et que le mari pourrait enfin consacrer du temps à sa femme, c’est trop tard, elle sent qu’elle va mourir, alors elle s’enfuit, sans rien dire, pour qu’il ne la voie pas mourante. Et l’avion pour lequel elle a renoncé à ses seules chances de bonheur sur Terre, c’est l’avion des kamikazes, un outil de mort. Bref, c’est une tragédie.

Sauf que… Si c’est cette histoire-là qu’on a voulu nous raconter, pourquoi est-ce que la construction de l’avion, mort de la fille, mort des pilotes, est malgré tout présentée comme quelque chose de positif ? Pourquoi est-ce que la conclusion est que le garçon a bien fait de laisser mourir sa femme pour construire cet avion, plutôt que de partir avec elle à la montagne, où elle avait une chance de guérir ? Pourquoi est-ce que le mari lui-même est présenté par tout le monde comme « un gars bien » ? Pourquoi le choix de laisser sa femme mourir plutôt que d’arrêter son avion, et ce, contre l’avis de sa sœur médecin et CONTRE L’AVIS DE SON PATRON, celui-là même qui lui a demandé de construire l’avion à la base, est présenté comme le bon choix ? D’autant que l’avion en question ne sera pas un outil de progrès, mais un outil de mort.

Deuxième hypothèse : c’est l’histoire d’une femme qui, avant de mourir, inspire à son mari la création d’un avion, et, de fait, aura accompli quelque chose dans sa vie malgré la maladie.

Sauf que… Si c’est cette histoire qu’on a voulu raconter, pourquoi ne met-on absolument pas en scène le fait que la présence et l’amour de sa femme aide le mari à concevoir son avion ? L’idée de l’avion, le garçon l’avait déjà bien avant de rencontrer la fille. D’accord, ceux qu’il a conçus avant de rencontrer la fille se sont tous écrasés. D’accord, il y a cette scène de l’avion en papier, qui est dans la bande annonce et qui m’avait donné la fausse impression que c’était cette histoire-là qu’on avait l’intention de nous raconter. Le garçon essaye d’envoyer à la fille un message sous forme d’avion en papier, les premiers qu’il conçoit s’écroulent, alors il les refait, refait, re-refait encore jusqu’à ce que l’avion en papier vole. Mais ce n’est qu’une scène. On croit que, de cette conception d’avion en papier, le jeune homme va trouver la solution pour que ses vrais avions restent en l’air, mais si c’est le cas, ce n’est pas montré. Le reste du film, rien n’est mis pour qu’on ait l’impression qu’il fait l’avion pour la fille, qu’elle l’inspire, qu’elle est sa motivation. Il suffirait d’une réplique de temps en temps. Il suffirait de le montrer sur le point de renoncer à l’avion et elle « non, ne renonce pas, pour moi, ne renonce pas ». Il suffirait qu’il lui parle de son travail, et qu’elle fasse des commentaires, même des commentaires de néophyte, mais que le fait d’en discuter avec elle lui clarifie les idées et l’amènent à trouver des solutions pour améliorer son prototype. Ca aurait suffi. Mais ça n’y est pas. Le gars construit l’avion. La fille meurt à côté. Aucun lien de cause à effet n’est jamais établi entre les deux événements.

Et surtout, si cet avion doit être la seule chose que la fille aura accompli pendant le bref temps où elle est en vie, le fait que cet avion devienne l’avion des kamikazes signifie qu’il aurait mieux valu que la fille crève et que le mec, de désespoir, ne termine jamais cet engin de mort. C’est cynique. Et je ne pense pas que Miyazaki soit cynique.

Troisième hypothèse : c’est l’histoire d’un gars qui construit un avion. Il y met son cœur et son âme, et à la fin, ces salauds d’hommes transforment son œuvre en machine de mort.

Sauf que… Pendant une part conséquente du film, on arrête de parler de cette histoire d’avion pour parler d’une fille tuberculeuse dont on se demande bien ce qu’elle vient faire dans l’histoire d’avion. Et ce qu’elle vient faire ne nous est pas expliqué, parce que, comme je l’ai dit, le rôle de la fille dans la création de l’avion n’est pas mis en scène. Le mec dit, une fois l’avion créé « je n’y serais jamais arrivé sans toi » mais on n’y croit pas. On l’a vu bosser sur son avion avant de la rencontrer, on l’a vu bosser sur son avion après, et on n’a noté aucune différence dans sa façon de bosser avant et après. Si, il y serait parfaitement arrivé sans elle.

Au passage, pendant la première moitié du film, s’il rêve quelques fois de l’avion qu’il va concevoir, on ne le voit pas faire preuve d’un quelconque talent pour l’ingénierie. On voit son meilleur ami faire preuve de compétence. On voit son patron faire preuve de compétence. On voir ses rivaux allemands faire preuve de compétence. Lui, non, et pourtant son meilleur ami dit qu’il porte l’avenir de l’aviation japonaise sur le dos. Ca ne vous énerve pas, vous, dans un film, quand les personnages disent « tel personnage est vraiment formidable » mais qu’on ne nous montre en rien en quoi il est formidable ?

Quatrième hypothèse : C’est l’histoire d’un garçon qui rencontre une fille, et ils sont faits l’un pour l’autre, mais une horrible maladie les sépare.

Sauf que plus de la moitié du film est consacré à une histoire d’avion sans rapport avec l’histoire d’amour, et on se demande bien ce que cet avion vient foutre dans cette histoire d’amour, parce que, comme je l’ai dit deux fois, le rapport entre les deux n’est pas mis en scène. Plus encore, l’amour que le garçon éprouve n’est vraiment montré que dans cette scène où, apprenant qu’elle a craché du sang, il quitte le refuge où il se cachait de la police militaire pour aller la rejoindre, continue à travailler dans le train mais pleure sur ses notes. Ensuite, il l’épouse, la range dans son pavillon, et va la voir une heure par soir, sans cesser de bosser un petit quart d’heure pour lui consacrer du temps, faudrait pas charrier les bégonias, quand même.

D’accord, c’est le Japon des années 30. D’accord, l’idée qu’une femme, c’est une personne, et que ça mérite de l’affection, ça devait être totalement étranger à l’état d’esprit de cet époque. Mais là, on est censé mettre en scène le fait que cet homme est amoureux. Et à partir du moment où il l’épouse, on ne le montre plus. Comme s’il s’était immédiatement lassé d’elle maintenant qu’elle lui appartient, comme un trophée qu’on range sur une étagère.

Sur Twitter, j’ai lu qu’on remarquait que certains de ses collègues mariés, eux, ne rentraient même pas pour rejoindre leur femme, le soir. Je ne me rappelle pas avoir vu ça, (en fait, je ne me rappelle pas avoir vu un seul de ses collègues évoquer le fait qu’il est marié, à part le patron qui héberge les deux tourtereaux et rentre voir sa femme, lui, et plus tôt que le héros de l’histoire, sa sœur médecin le lui reprochent, d’ailleurs) mais admettons que je l’ai loupé.

Bref, je ne comprends pas ce film. Les images sont magnifiques, la musique classique très bien, entendre des japonais citer Paul Valery est assez jouissif, mais vraiment, je n’ai pas saisi où le film voulait en venir. Et venant d’un cinéaste de talent comme Miyazaki, j’ai du mal à m’y faire.

Sinon, pour ceux que le reste du poème de Paul Valery intéresseraient…

http://www.feelingsurfer.net/garp/poesie/Valery.CimetiereMarin.html

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commentaires

P
J'ai vu &quot;Le vent se lève&quot; il y a quelques jours. Pour tout dire j'en étais ressorti content, avec le sentiment d'avoir vu un bon film, bien que je n'avais pas tout compris. Mais j'ai lu ton article avec intérêt.<br /> <br /> Pour moi, ma version du film c'est : on raconte l'histoire d'un type passionné par les avions depuis sa plus tendre enfance. Mais il est tellement passionné qu'il en oublie deux choses primordiales : se demander comment sera utilisée sa création, et prendre soin de sa femme atteinte d'une grave maladie. Voilà le problème.<br /> <br /> Ça me gène moi aussi que le personnage principal se soucie aussi peu de son environnement. Et ce n'est qu'une impression, mais je me suis demandé par moments s'il était vraiment amoureux de sa bien-aimée. Et puis en effet, pourquoi continuer à élaborer son avion alors que même son patron lui recommande d'arrêter son travail pour s'occuper de sa femme ? (Pendant le mariage, celui-ci a même traité son employé d'égoïste, c'est tout dire ^^).<br /> <br /> Cependant, j'ai pas envie de l'accabler complètement. Je ne pense pas que le gars ait un mauvais fond, au contraire. Par exemple, une scène qui m'a marqué, c'est lorsqu'on procéda à l'essai final de son œuvre. Au moment où son avion bat des records de vitesse et qui devrait être le sommet de sa carrière, il détourne la tête, et oublie complètement le vol. Il vient certainement de penser à sa femme, à qui il a dû arriver quelque chose de grave (bien que ce ne soit pas explicite). Donc pour moi, ce type n'est pas totalement insensible à ce qui l'entoure.<br /> <br /> Hayao Miyazaki a livré à mon sens son film d'animation le plus mélancolique. L'Homme est capable d'avoir des rêves merveilleux et d'accomplir des choses grandioses, mais peut aussi sombrer dans la barbarie la plus totale. Et après la lecture de ton article, j'ai envie d'ajouter que nos rêves ne doivent pas nous faire oublier la réalité. Mais si l'Homme n'a plus de rêves, sa vie a-t-elle un sens ?
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T
En somme, si le film ne dit pas explicitement que faire mourir sa femme pour un avion de guerre, c'est parce que c'est évident, et du coup, à la place, on prends le temps de nous montrer que ce gars n'est pas un criminel, même s'il commet un crime, juste un inconscient. Ce film serait donc un plaidoyer. Dans ce cas, le problème qu'il me pose est que la problématique de savoir s'il faut pardonner au héros n'a pas été posée avant de commencer le plaidoyer. Ca aurait du commencer sur l'enterrement de la fille et le gars faisant le bilan de pourquoi elle est morte. En fait, le voir éprouver au moins un minimum de remord m'aurait permis de savoir dans quel film j'étais.
B
Et moi je l'avais inscrit au nombre des films à voir sans me douter, après avoir visionné la bande annonce, que s'était si intense... je vais y aller dès que possible... vos commentaires m'ont laissée sur ma faim.. ;)
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B
Oui moi aussi je rejoint le premier commentaire. Ce que le film montre, c'est l'idéologie du personnage, sa vision de la vie, sa volonté de profiter à fond sans se soucier réellement des conséquences, et l'histoire avec sa femme est plus une illustration/doublon de son histoire avec l’aéronautique.<br /> <br /> En fait, c'est la même thématique que Ponyo : le personnage qui par amour (ici d'une femme ou d'un avion) va foncer sans se soucier des conséquences, vouloir profiter de façon égoïste de cet amour. Ponyo parlant d'enfants de cinq ans, à priori les enfants de cet âge voyant les choses de manière démesurée, on partait sur une histoire de fin du monde. Le vent se lève lui sur une veine plus réaliste met en scène un homme qui bercé dans ses rêves ne voit pas ou refuse plutôt de voir, ou plutôt rejette sa responsabilité et continue sa vie à fond, construisant les avions de ses rêves tout en niant quelque part leur fonction de mort. C'est une thématique semblable, celle du rêveur qui introduit ses songes dans le réel, mais ceux-ci n'y étant pas adapté, il fait finalement du mal mais sans qu'on puisse le blâmer tellement plus que d'une naïveté ou d'un égoïsme.<br /> <br /> C'est intéressant dans la filmographie de Miyazaki qui dans ses films a tourné beaucoup plus autour du thème du maudit (Porco Rosso, Chihiro, tout le monde dans le château ambulant...), plus des gens qui subissaient et essayait de se dépêtrer, de s'accommoder de cette situation, alors que dans ces deux derniers films Miyazaki passe à des personnages principaux qui créent eux même leur malédiction en niant la réalité du monde où ils se trouvent.
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T
Moi je l'entendais plutôt comme &quot;La partie importante de ta vie est finie, maintenant, mais viens, allons nous saouler en attendant la mort&quot;. Après, je ne sais pas ce que le réalisateur voulait vraiment dire.
T
Pour moi &quot;vis ta vie, allons boire du bon vin&quot; signifie &quot;tu as bien travaillé, maintenant soit récompensé&quot;. Ce qui me choque, vu le prix et le résultat.
T
Et je persiste à penser que la fin tranche en faveur du fait que ça ne valait pas le coût, parce que les dernières paroles échangées sont &quot;aucun n'est revenu&quot;, et &quot;Vie ta vie, tu veux boire du vin ?&quot;.
T
C'est vrai, ce n'est pas l'avion de son rêve, loin de là. C'est quand même un bel avion, mais il ne peux servir que dans le cadre de la guerre. Mais on comprends plus ou moins qu'il ne pourra plus faire mieux. Ça participe à lui faire penser que ça ne valait pas le coût. Mais au moment où il le sait, il est trop tard. Comme je te disais, le personnage ne choisis jamais vraiment.
T
Sauf que là, la pyramide en question, c'est l'avion qui a servit aux Kamikaze. Donc pas quelque chose de beau. Et ce n'est pas un avion extraordinaire non plus, c'est un avion de bric et de broc, fabriqué de manière à pouvoir aller vite malgré un moteur pourri. L'avion qu'il voulait réellement construire, qu'on voit dans son fantasme, il y renonce faute d'avoir le bon matériel. Ce film n'arrête pas de prendre des direction et de se faire des crocs en jambe à lui-même pour chacune. Et du coup, au final, il ne va nulle part.
T
Honnêtement, je ne comprends pas que tu ne comprenne pas. De mon point de vue, c’est sans aucun doute la première hypothèse qui est la bonne. Quand à savoir si c’est « bien » qu’il ai laissé mourir sa femme sans soin pour construire des avions militaires, le film ne répond pas à cette question. Parce que les personnages n’ont pas la même opinion sur le sujet, tout simplement. Sa famille, son patron, ses amis, pensent clairement que les avions de guerre ne valent pas de perdre le temps qu’il lui reste avec sa femme. Mais sa femme pense le contraire, elle accepte de mourir sans soin pour que son mari puisse créer, parce qu’elle pense qu’il vaut mieux « un monde avec des pyramides » peu importe ce qui doit y être sacrifié. Il faut comprendre qu’elle ne se sacrifie pas tant parce qu’elle l’aime que parce qu’elle aime sa passion. On voit ça dans la scène où il construit des avions en papier. <br /> <br /> Le personnage principal, lui, ne sait jamais vraiment si il a bien fait ou pas. En ne lâchant rien (il ne quitte ni sa femme ni son métier), il fini par perdre sa femme, plus fragile. Mais à la fin, il perd aussi son métier. Quand l’italien dans son rêve lui parle de sa vie de création terminée, il a beau l’inciter à tenter de vivre, on voit bien qu’il ne lui propose plus qu’une vie pauvre et amoindrie (boire du vin n’est rien à côté d’aimer et créer). Sa femme est morte, sa création majeur est derrière lui, et il va passer tout le reste de sa vie à se demander si des avions cassée, aussi beau soient-ils, valaient le coup. Quand, dans le rêve final, il avoue à son « ami » italien « aucun n’est revenu », on ne sait pas vraiment si il parle des pilotes ou des avions, mais dans un cas comme dans l’autre, ça signifie bien qu’il n’est absolument pas sur d’avoir fait le bon choix. D’ailleurs, il n’a pas fait le choix, il a juste essayé de tout faire, sans pouvoir y arriver, puisqu’il ne pouvait pas plus empêcher la guerre que la mort de sa femme.<br /> <br /> En fait, savoir si ça valait le coût, est une question à laquelle le spectateur doit répondre lui-même. La métaphore de la pyramide est éclairante. Les pyramides n’ont été construites qu’au prix de plusieurs centaines de vie, mais on considère aujourd’hui que ce sont les plus belles créations du monde. Tout le film repose sur cette question, sa femme étant l’illustration de ce qu’est une vie brisée pour la beauté. Au moins, elle est consentante, pas comme les gens mitraillés… mais elle a beau être consentante, ça reste déchirant.<br /> <br /> Ha oui, le personnage qui ne rentre pas voir sa femme, c’est son collègue qui se marie juste avant de partir en Allemagne, en disant « il faut un foyer pour partir ». Il voit sa femme comme une maitresse de maison, qui gardera un foyer propre et chaud au moment où il décidera de revenir. Tu me diras, mieux vaux ça qu’un mari violent. ^^
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