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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 19:51

Comme il est bien connu que le travail court les rues, surtout pour les filles comme moi qui ont changé cinq fois d’orientation professionnelle, et malheureusement toujours pour des questions de manque de compétences, il n’y a qu’une explication rationnelle au fait que je ne retrouve pas d’emploi : Je ne sais pas argumenter en entretien.

Bien sûr, il y a ce petit paradoxe de la sincérité indispensable en entretien, en plus du talent rhétorique. Ma réussite dépend de ma capacité à argumenter, mais, pour autant, je ne dois pas mentir, je ne dois dire que la vérité. « Je vous assure, monsieur, qu’il faut m’engager, malgré le fait que toutes mes expériences professionnelles aient été un échec, et que, même dans ma vie privée, je ne suis guère reluisante, que je perds mes moyens quand on me parle comme à un chien, que j’essaye d’être conciliante et que j’ai besoin d’un cadre bien défini pour être efficace.. Je vais vous prouver par ma rhétorique que c’est la bonne solution. » Non, là, je suis sûre que même Cicéron n’y arriverait pas.

Mais effectivement, je ne sais pas argumenter. Enfin, surtout, je n’essaye pas tellement. J’ai déjà assez de mal comme ça à me faire comprendre, alors convaincre… J’ai peur qu’il faille choisir.

Je passe beaucoup de temps, sur ce blog, à m’exprimer. Parce que j’ai la prétention de penser que mes idées peuvent éventuellement intéresser d’autres personnes, parce que ça m’aide de m’exprimer. Mais en général, je n’ai pas d’autre ambition que de dire « mon point de vue sur cette affaire, c’est ceci, et j’ai ce point de vue pour ces raisons-là. ». Je ne m’attends pas à ce qu’on adhère à mon opinion sous prétexte que je l’ai donnée, ça me fait juste plaisir d’avoir un espace où la donner, où je puisse faire exister ma réalité, la façon dont je vois les choses.

Je n’essaye pas de convaincre. Je ne sais pas si c’est parce que je ne m’en crois pas capable ou parce que ça ne m’intéresse pas. De toute façon, si j’essayais, je sais que je ne convaincrais pas. Quel que soit le soin que j’apporte à mes tournures, je ne convaincrai pas parce que j’ai ma façon particulière de fonctionner, et que je rencontre peu de gens dont le fonctionnement dépend des mêmes paramètres que moi. Je sais quelles sont mes faiblesses, et comment on peut manipuler mon propre esprit. Mais je ne sais pas comment manipuler celui des autres. Peut-être que je le saurais si je cherchais, mais… Je ne veux pas manipuler. Pas consciemment, en tout cas.

Nous manipulons tous, c’est humain. Nous essayons de faire culpabiliser, de faire honte, de donner envie, pour obtenir ce que nous voulons. Mais la plupart du temps, c’est instinctif. Commencer une réflexion profonde sur comment convaincre un employeur dont ce n’est absolument pas l’intérêt de m’engager, c’est dur à faire, pour moi. La seule chose que je saurais faire, c’est lui dire pourquoi je m’engagerais, moi, si je n’étais pas moi. Mais, d’une part, il y a un tas de circonstances où je ne m’engagerais pas, un tas de postes que je ne me confierais pas. D’autre part, les raisons pour lesquelles je m’engagerais moi ne sont pas nécessairement celles pour lesquelles un autre m’engagerait. Ce qui est important pour moi ne l’est que pour moi, et n’a aucune raison de le devenir pour les autres. Je ne suis pas quelqu’un d’assez admirable et exceptionnel pour que le fait que ce soit important pour moi devienne une raison de considérer ça comme important. Je peux expliquer pourquoi c’est important pour moi. Mais ces raisons ne suffisent en général qu’à moi.

Je n’arrive pas à avoir envie de convaincre. Parce que j’ai trop envie d’avoir raison. J’ai envie qu’on croie en mes arguments parce qu’ils sont vrais, pas parce qu’ils sont bien dits. J’ai envie qu’on m’engage parce que je suis compétente, pas parce que j’ai bien parlé. J’ai envie que ce qui me paraît valable le soit réellement, et que mon interlocuteur le trouve valable parce qu’il l’est réellement, pas parce que je l’aurai manipulé pour qu’il le croie valable. Je n’arrive pas à renoncer à l’idée d’une réalité commune dans laquelle nous vivrions tous ensemble, mon employeur potentiel, mes formateurs, mes proches, moi-même. Essayer de convaincre, c’est accepter qu’il n’y a pas une réalité, mais plein, et qu’il faut détourner l’interlocuteur de la sienne pour le piéger dans celle qu’on a décidé, contre sa volonté, contre son instinct, contre ce que lui dictent ses sens et sa raison.

Je n’arrive pas à avoir envie de convaincre, aussi, parce que je me sais moi-même extrêmement facile à manipuler. Il est très aisé de me faire douter de mes propres convictions. C’est d’ailleurs pour ça que je fuis les débats. Je risquerais trop de m’y perdre moi-même, face à un interlocuteur trop habile. Je risquerais d’être attirée dans une réalité que je n’ai pas choisie, à laquelle je ne me suis pas mise à croire par sagesse et par expérience, mais parce qu’on a faussé les mécanismes de ma pensée pour m’amener à croire ce que la raison m’aurait fait considérer comme faux.

Si débattre servait à affiner la perception de chacun et à chercher la vérité objective des choses, j’aimerais sûrement débattre, mais débattre est juste un sport de combat, où celui qui gagne annihile la pensée de l’autre. Il y a différentes méthodes pour ne pas perdre un débat, même si on ne parvient pas à convaincre. Elles se résument d’ailleurs en une phrase : éviter de reconnaître qu’on a tort. Si l’adversaire emploie des arguments défendables, il suffit de ne pas y répondre, de digresser sur un petit détail sans importance de son discours, sans importance, mais facilement démontable. Il suffit de faire semblant que l’adversaire a dit autre chose que ce qu’il a dit, quelque chose de parfaitement démontable. Ca ne convaincra pas l’adversaire, mais par contre, ça fera oublier au public ce qu’il a réellement dit. Au moins, ça permettra de continuer à affirmer qu’on a raison, et lui tort, quels que soient les fait. Ces méthodes ne sont pas de l’ordre de l’argumentation. Elles ne permettent pas de rendre la réflexion constructive. Mais elles permettent de gagner.

Je n’arrive pas à avoir envie de convaincre, parce que je n’arrive pas à avoir envie de gagner. Quand on gagne, on est seul, on obtient quelque chose qu’on est seul à obtenir, qu’on ne partage avec personne, et je n’aime pas être seule. Je voudrais que tout le monde gagne en même temps que moi. Je voudrais obtenir des résultats qui ne satisfassent pas que moi, qui ne me laissent pas isolée dans ma victoire.

Sans doute que je ne sais pas me défendre en entretien, sans doute que je ne sais pas jouer un rôle en entretien, mais c’est parce que je n’arriverai pas à obtenir un emploi par tricherie et manipulation. On a inventé la langue pour communiquer. Je n’ai pas envie de convaincre que je suis l’employée qu’il vous faut. J’ai envie de l’être, et de vous le faire savoir. Si vous ne croyez pas en ce que je dis, c’est triste, mais je n’y peux rien.

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commentaires

G
Je voudrais vous remercier pour ce post, pcq j'aurais pu l'écrire.<br /> En fait, vous savez argumenter (on le voit ici) mais de manière réfléchie, pas &quot;à brûle pourpoint&quot;. Et vous argumentez bien, ici, vous expliquez très bien ce que vous vivez dans la situation où &quot;on doit argumenter&quot;. Je pense que vous êtes une personne réfléchie, pas impulsive. Bon voilà, il faudrait que j'argumente plus MAIS je n'arrive pas à dire plus. Je ressens que vous êtes quelqu'un de bien.
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