La fin d'une histoire nous déçoit souvent. Et si elle ne nous déçoit pas, elle est annulée par une
suite.
Mes amis et moi parlions hier, autour d'une tasse de thé, d'un jeu vidéo dont je ne donnerai pas le nom,
histoire de ne pas faire de spoiler à ses consommateurs, mais ceux qui l'on terminé le reconnaîtront peut-être. Quels que soient les choix faits par le joueur durant les longues, très longues
heures de jeu, durant lesquelles il aura pu profiter d'une intrigue passionnante, de dialogues excellents, d'une ambiance prenante, le jeu se termine par la destruction de l'univers et de la
civilisation. Tout ce qu'a accompli le personnage principal pendant l'histoire est inutile, alors qu'elle a été construite de manière à donner l'impression que ses actes peuvent avoir de grandes
conséquences, tant un seul homme peut changer l'état d'esprit d'une foule. En bref, la fin fait mentir le reste de l'histoire. Par conséquent, quelle leçon en tirer ?
Quand j'essaye d'imaginer ce qui peut pousser quelqu'un à faire une fin comme ça, je trouve des réponses. Envie de faire une fin à laquelle personne ne s'attende. Envie de faire une fin
pessimiste parce que c'est le message qu'on a à donner. Peur qu'une fin positive fasse irréaliste après toutes les difficultés par lesquelles on a fait passer son héros. Certitude de ne pas
pouvoir faire une fin qui satisfasse tout le monde. Désir de ne pas réfléchir à la fin avant d'y arriver ce qui aura conduit à ce point de non retour où la fin excessivement négative semblait la
seule possible.
Quelles qu'en aient été les raisons, cette fin fait mal. Pas seulement parce-qu'elle est excessivement noire,
mais également parce-qu'elle est en contradiction avec tout ce qui lui a précédé et rend inexistant tout ce qui faisait la valeur de l’œuvre. Impossible de se dire « la fin est décevante,
mais le reste est bien » car la fin nous apprend qu'on nous a menti sur la marchandise, que ce qui en faisait la valeur était en fait un faux semblant destiné à nous dissimuler le vrai sens
de l'histoire.
J'ai eu la même expérience au cinéma, récemment. Encore une fois, je ne dis pas le titre du film, ceux qui
l'ont vu le reconnaîtront. Ce film raconte l'histoire d'une fille, aux Etats-Unis, qui s'échappe de la secte dans laquelle elle vit depuis deux ans et tente de reprendre le contrôle de sa vie en
se réfugiant chez sa sœur. La situation est intéressante, on observe combien il ne suffit pas de s'échapper physiquement d'une situation pour s'en échapper effectivement, et combien,
psychologiquement, le jeune fille est encore prisonnière de la secte, et doit continuer à lutter pour terminer sa libération. Son état me paraissait très bien décrit, et j'ai été ravie du film
jusqu'à la fin. Sans entrer dans les détails, non, la jeune fille ne parvient pas à retrouver une vie normale, et la morale est plutôt que si elle était restée dans sa secte, au moins, elle
aurait été la seule à souffrir et n'aurait pas entraîné sa sœur dans ce cauchemar.
Alors j'ai détesté le film, et ça n'a tenu qu'à ça. Ce minuscule détail qu'est la fin. Une phrase d'espoir en conclusion, un plan d'elle en pleine lumière, n'importe quoi pour me dire que si,
dans la vie, on peut guérir, et j'aurais trouvé ce film génial. Mais telle quelle, la fin n'est pas seulement noire, elle rend le film complètement inutile.
De la même manière, en me poussant à voir Matrix II et III, on m'a obligée à constater que ce qui semble être
le message véhiculé par le premier est un faux semblant. Ce n'est pas une histoire sur le caractère trompeur des sens et l'incertitude qu'on peut avoir de la réalité du monde qui nous entoure.
C'est une histoire de messie, ce qui pourrait être intéressant si, d'une part, ça n'était pas traité de manière relativement banale, et si, d'autre part, on ne le comparait pas à ce qu'on a cru
qu'était le message en regardant le premier film.
Dans le cas de Matrix, il y a ceci de terrible que le premier film avait une fin, relativement bonne, et
suffisante à elle-même. On aurait pu se passer de suite, et rien n'aurait remis en question la valeur qu'on avait accordé à l'histoire.
C'est pourquoi il me paraît généralement une mauvaise idée de faire une suite à une histoire dont la fin est
une fin fermée.
Avatar, le dernier maître de l'air, la série animée, est l'exemple que je cite, en général, d'histoire ayant une fin qui ne me déçoit pas. Elle n'est certes pas surprenante, mais elle livre un
message positif, ne laisse que peu de questions irrésolues, et ne dévalorise en rien ce qui s'est passé avant.
Une bande dessinée à été faite à la suite de cette série. Non seulement cette bande dessinée n'apporte aucune
résolution aux rares points laissés en suspens par la fin originale, mais elle contredit le message laissé par cette fin, et donne la leçon contraire. On peut arguer que l'on aimait pas cette
morale, mais c'est toute même celle que les auteurs avaient choisi de donner à l'issue de cette série. Pourquoi se contredire soi-même ?
Autre exemple, la série animée Code Lyoko, qui se termine au bout de quatre saison non seulement par une fin
fermée, mais également par un petit effet théâtral : après la conclusion de la série, une petite séance musicale nous montre les personnages en train de saluer la caméra, à la manière
d'acteur saluant au théâtre. On ne peut pas annoncer plus clairement « Attention, c'est la fin, il n'y aura PAS de suite ! ».
Certains fans, bien sûr, voulaient interpréter le fait que le personnage du méchant vienne saluer avec les autres comme la preuve qu'il n'avait pas été réellement tué et allait revenir pour une
saison 5. Réaction qui a inspiré à un de mes amis un commentaire tellement génial que je vous le rapporte textuellement :
« C'est comme dire qu'un méchant qu'on a vu se noyer juste avant le générique de fin s'est sauvé en
s'accrochant aux lettres qui montent ! »
Mais voilà, le harcèlement paye, et, devant l'insistance du public, la production a décidé de faire une
saison 5. Entendons-nous bien, cette suite sera peut-être très bien faite, contiendra peut-être bien des choses objectivement intéressantes si on fait abstraction du contexte, mais le fait
qu'elle existe remet en question tous les efforts qui ont été faits dans la saison 4 pour résoudre l'intrigue et amener à une conclusion. Accessoirement, ça rend inutile et ridicule ce geste de
salut fait par les personnages à la caméra, ce qui est fort dommage.
Malgré cela, ceux qui décident de ne pas voir cette saison 5, de ne pas lire la BD Avatar le dernier maître
de l'air, de ne pas regarder Matrix II et III pour ne pas se gâcher le premier, rencontrent une incompréhension difficile à faire cesser, pour ne pas dire impossible. Il font d'ailleurs
régulièrement l'objet du harcèlement que j'ai subi pour Matrix. « Il faut que tu voies. Tu verras que tu changeras d'avis, quand tu verras que c'est bien fait. » On aura beau répondre
« Je ne refuse pas de voir cette suite à cause de ce que je suppose qu'elle est, je la refuse à cause de ce que je sais qu'est l’œuvre précédente. », la personne n'en démordra pas.
« Tu changeras d'avis quand tu verras que c'est bien fait. »
Ceci donne à penser que le concept de fin destinée à accomplir l'histoire, lui donner toute sa valeur, la
justifier, est assez peu répandue, au final, et difficile à faire concevoir à ceux qui ne le partagent pas spontanément.
Un de mes amis, étudiant en cinéma, nous rapportait hier les paroles d'une scénariste de séries expliquant
que le scénario doit être construit en prévision de la fin qu'on prévoit de lui donner. Cependant, cette personne, sachant qu'une série doit pouvoir se prolonger aussi longtemps qu'elle est
rentable, suggérait d'enchaîner indéfiniment les différents arcs, et toujours passer immédiatement à une nouvelle histoire quand on en finit une.
Mais là, le débat se met à porter sur ce que doit être une série. Doit-elle être une histoire, ou seulement
un univers dans lequel s'enchaîne une succession d'histoires n'ayant rien à voir ensemble ?
Si l'on suit le dernier point de vue, on nie la valeur d'une série comme œuvre en tant que telle, qu'un spectateur pourrait avoir envie de voir et revoir en entier, sans simplement attendre un
nouvel épisode tous les jours.
Et pourtant, objectivement, qu'est-ce qui, dans le fait de faire se passer différentes histoires dans le même
univers leur retire sa valeur ?
Là, nous allons parler de Star Wars. Des livres ont été écrits racontant la suite du Retour du Jedi. Pour exister, ces livres sont obligés de remettre en question l'idée que ce qui se passe dans
la trilogie Star Wars est l'événement le plus important de l'univers, celui qui a été annoncé par une prophétie des siècles auparavant...
A titre personnel, j'émettrais bien l'idée que si une série n'existe qu'en tant qu'univers, les auteurs de
fanfiction doivent être reconnus comme auteurs de la série au même titre que les scénaristes officiels, après tout, que font-ils de moins que ces derniers ?
Quoiqu'il en soit, le spectateur/lecteur/joueur/écouteur de l'histoire ne peut rien faire pour empêcher qu'il
existe une suite dont il ne veut pas à une histoire qu'il estime complète et accomplie. Le voilà donc dans une position difficile : doit-il décider de renier cette nouvelle partie de l’œuvre
qu'il admire pour n'en garder que ce qu'il aime ? A-t-il le droit de faire ça, après tout, n'est-ce pas renier l’œuvre entière, en réalité ? Et surtout, a-t-il la possibilité de faire
ça ? Il suffit de savoir ce que racontent Matrix II et III pour ne plus croire au premier.
Lorsque j'écris une histoire, en général, je l'écris pour la fin. C'est la fin qui me fait décider si elle
vaut la peine d'être écrite ou si elle doit rester dans ma tête. Lorsque j'ai dirigé un groupe d'écriture dans des histoires collectives, nous avons travaillé à l'improvisation, mais la fin
finissait toujours par s'imposer à nous au bout d'un moment.
Une fin peut me gâcher une œuvre que j'ai aimé. Une fin peut aussi sauver une œuvre que j'ai crue
insupportable en la voyant. Bien que je constate que rares sont ceux qui y attachent autant d'importance que moi, je continuerai à y apporter un soin extrême, et à la considérer comme la partie
de l’œuvre qui mérite le moins d'être négligée.