Je ne devrais pas bloguer pour parler de ce qui me fait mal, je le sais. Je devrais faire des articles gais et
intelligents, sur la littérature et les autres supports artistiques qui m’intéressent, le souci est que la gaité, ce n’est pas ce qu’il y a de plus présent dans ma vie, ces dernières années, et
que l’intelligence, je n’ai que la mienne, qui est une intelligence moyenne, et qu’en plus, j’ai une façon de raisonner qui est en total décalage avec la plupart des gens. En fait, je ne devrais
pas bloguer, parce que si je blogue, c’est à cause du besoin égoïste de mettre quelque part où qui veut pourra les lire toutes les pensées que j’ai besoin de partager mais que personne n’a envie
d’entendre.
J’ai besoin de parler quelque part du fait que je suis mauvaise actrice. Pas pour dénoncer ou sensibiliser,
comme quand j’ai fait mon blog sur l’enseignement. Seulement pour moi. Pour répondre à ces attaques qu’on me fait, comme quoi ma diction n’a rien à envier à celle d’une prof de sixième qui fait
une dictée, comme quoi mon jeu est exaspérant. Pour m’excuser et me justifier.
Je fais du théâtre depuis que j’ai sept ans, et j’ai fait l’école Florent. Jusqu’à mes 21 ans, j’étais une
bonne actrice. Puis j’ai eu des soucis dans ma vie personnelle, et j’ai commencé à avoir du mal à jouer correctement, durant mes cours à l’école Florent. C’est là qu’un prof m’a sorti que mon jeu
était scolaire et que je n’avais pas ma place dans le théâtre. Ce qui a été terrible à entendre, parce qu’à l’époque, c’était la seule certitude que j’avais sur moi, le fait d’être bonne actrice.
J’ai voulu lui prouver qu’il avait tort, je suis immédiatement remontée sur scène, j’ai essayé tous les rôles, toutes les humeurs, toutes les scènes, j’ai joué, répété, changé, et jamais, jamais,
jamais ni ce prof, ni les autres ne sont revenus sur cette opinion de moi : « scolaire ».
Il faut dire que quand on monte sur scène en pensant non pas à son rôle mais à combien on a la vie qui dépend
du fait qu’un prof dans le public acceptera de nous dire « là, c’est la bonne voie, tu n’as plus qu’à te lâcher, maintenant », c’est dur d’être investi dans son rôle.
Pendant des années, j’ai eu un blocage, grave, m’a rendue incapable de prononcer mes répliques d’une manière
crédible. Pourtant, j’ai tout essayé. J’ai tenté de varier les rôles, j’ai même tenté d’en faire qui correspondait à l’état de détresse dans laquelle j’étais pendant que je jouais, rien n’y a
fait. Le regard de mes profs et de mes collègues de l’école Florent est resté tout aussi méprisant, le son de ma voix, dans ma bouche, tout aussi désagréable. Pourtant, je travaillais. J’y
passais tout mon temps libre. Vraiment. Imaginez un aviateur passionné par son métier. Plus que passionné. Imaginez que le fait de voler soit pour lui presque une religion, en tout cas sa seule
façon de vivre. Imaginez maintenant que suite à un accident d’avion, il souffre du vertige. Le vertige, c’est pas une question de volonté. Il aura beau désirer de toute ses forces remonter dans
un avion, il ne pourra pas. Il faudra bien qu’il renonce.
Et j’ai renoncé. Et j’en ai entendu, par la suite des « moi, je me serai obstiné ! » Non.
Personne ne se serait obstiné. On s’obstine quand on a affaire à des obstacles contre lesquels on peut lutter. Quand il n’y a pas d’obstacle, quand il y a juste l’impossibilité de faire ce qu’il
y a à faire, on ne s’obstine pas, on n’a même pas le choix de s’obstiner ou pas. De toute façon, à cause des soucis personnels que j’ai évoqué plus haut, il fallait que je vise une carrière
susceptible de me faire gagner ma vie et mon autonomie.
J’ai mis trois ans, à renoncer. Je le précise au cas où on me dirait que je renonce bien facilement. Ceci dit,
je doute que ceux qui me reprochent aujourd’hui d’être mauvaise actrice me reprochent aussi d’avoir renoncé à en faire ma profession, mais bon. J’ai mis trois ans à renoncer, j’ai attendu d’être
sûre que le blocage ne se déferait pas, quoi que je fasse.
Des années plus tard, il y a eu le forum, et des projets de fans, et pour un projet de fan, j’ai du
enregistrer la narration d’une histoire, en version audio. Personne d’autre n’était disponible pour le faire. Je me suis enfermée chez moi tout un après midi. J’ai lu le texte. Je l’ai relu. Je
l’ai rerelu. J’ai commencé à le prononcer, le plus lentement possible, sans essayer de le jouer. Puis je l’ai redit, et redit encore, en n’essayant d’ajouter de ton que lorsque j’étais sûre qu’il
vienne naturellement. Au milieu de l’après midi, alors que j’avais presque réussi, le téléphone a sonné, et j’ai tout reperdu. J’ai bloqué un deuxième après midi. J’ai recommencé. Et je suis
arrivée à prononcer mon texte, sur un ton sobre, mais pas artificiel, et j’ai estimé qu’une victoire avait été remportée.
Encore des années plus tard, mon meilleur ami a eu l’idée de l’émission. Il ne s’agirait jamais que de faire
un exposé sur un sujet, et sortir quelques blagues de temps à autre. Puisque je savais maintenant faire une narration à peu près correcte, j’ai estimé, et je m’excuse de l’avoir estimé, que
c’était à ma portée.
Alors voilà, oui, je suis mauvaise actrice. J’ai été très bonne à une époque, même si c’est difficile à
croire. J’ai déjà réussi à faire frémir une salle entière en jouant « Casimir et Caroline ». J’ai pu faire obtenir son bac à une camarade de lycée grâce à une scène jouée ensemble. Mais
maintenant, je ne le suis plus et je ne le serai plus jamais. C’est un fait, je l’admets.
En attendant, me reprocher ça, c’est toucher la corde sensible. Je peux supporter qu’on fasse des remarques
désobligeantes sur mon décolleté. Je peux supporter qu’on n’aime pas nos blagues, qu’on ne les comprenne pas. Je peux supporter qu’on ne soit pas du tout d’accord avec ce que nous racontons. Mais
quand on nous dit « apprenez à jouer, bordel », j’ai mal. Réellement mal. On a tous nos points sensibles. Moi, c’est celui-là. Alors je sais qu’en me lançant dans une émission sur le
web alors que je me sais mauvaise actrice, j’ai tendu le bâton pour me faire battre. Et je sais que je devrais renoncer à faire cette émission parce que je suis mauvaise actrice. Et c’est
toujours ce que je me dis, quand on me parle de ma façon de jouer. Je devrais me contenter de rédiger des scripts, et trouver quelqu’un pour me remplacer devant la caméra, après tout, les
scripts, personne n’a l’air de les trouver mauvais.
Mais sincèrement, quand je monte mes vidéos, je ne trouve pas mon jeu si insupportable. D’accord, j’ai une
voix horrible, et quasiment inaudible, et des défauts d’élocution. Mais mon ton est juste, et quand je pense aux années que j’ai passées durant lesquelles je n’arrivais plus à prononcer mon texte
sans qu’il ait l’air sorti d’une vidéo d’Xtra normal, je ne peux pas m’empêcher d’en être contente.
Je ne quitterai pas l’émission. Et mon jeu sera toujours le meilleur que je sois capable de fournir, parce
qu’il n’y a pas un seul tournage ou je donne moins que le meilleur de ce que je suis capable de fournir. Lorsque l’émission a commencé, nous avions une mauvaise caméra, un mauvais son, mais le
jeu, ça a toujours été le meilleur que je pouvais. S’il n’est pas suffisant, je le regrette, mais c’est mon maximum. Ce maximum, je continue à bosser pour essayer de l’améliorer.
Merci d’avoir eu la patience de me lire.