Attention, ça va être un peu long…
Sur le moment, je n’étais pas sortie de la salle de cinéma furieuse. Légèrement exaspérée, tout au plus, mais pas trop. De beaux effets visuels avec la glace, de belles chansons, et, au final, ce n’est vraiment qu’en français que ce film pique son titre à un conte d’Andersen qui n’a rien à voir ni de près, ni de loin, avec son contenu.
Seulement, j’y ai repensé, puis repensé encore, et plus j’y ai repensé, plus l’exaspération a monté et est devenue colère.
Je me suis faite complètement avoir par ce film. J’allais le voir parce qu’il m’avait été vendu comme racontant l’histoire d’une amitié entre deux sœurs. C’est cette histoire-là que j’ai payé pour voir, mais cette histoire-là n’est qu’une vague intrigue secondaire très filiforme, et bâclée en vitesse par les scénaristes, plus intéressés par le sujet principal : un triangle amoureux.
Ah, que je hais les triangles amoureux. Que je peux avoir horreur de cette mode du triangle amoureux inesthétique et foireux, dont le seul but est de démontrer que les promesses d’amour véritable ne sont que des mensonges, que l’amour le plus fort et le plus sincère est ce qu’il y a de plus faible et de plus faux, qu’on ne peut pas se fier à son cœur, ni à la personne à qui on l’a donné, que la rencontre de l’autre ne donne pas un sens à la vie, puisque l’un comme l’autre, on est somme toute complètement remplaçable…
Comprenez-moi bien. Il n’y a, de mon point de vue, que trois raisons valables de se lever le matin, et d’accepter d’endurer toutes les souffrances, les frustrations, les humiliations, les angoisses, les violences que vont constituer la lutte pour assurer sa survie jusqu’au soir. Ces trois raisons valables sont l’amour, l’amitié, et l’espoir que l’humanité réussisse à se construire un jour une société où il soit possible d’être heureux. Et la réalité se charge avec beaucoup d’enthousiasme de me convaincre que l’amour est un mensonge, l’amitié une illusion, et l’espoir une stupidité. Je n’ai pas BESOIN de me tourner vers la fiction quand j’ai envie d’avoir le cœur brisé. D’ailleurs, cette envie ne me prend jamais, et je me demande bien qui sont ces gens qui se disent « tiens, ma vie est trop belle, en ce moment, j’ai envie de désespérer un peu, voyons quelle histoire me convaincra que la vie est moche ? ». Moi, j’attends de la fiction qu’elle m’apporte des repères auxquels m’accrocher quand la réalité me les retire, pas qu’elle me les retire quand je peine déjà bien assez à les garder.
Selon mes propres repères, le véritable amour, c’est quand on rencontre une personne dont le caractère, les goûts, la façon de fonctionner corresponde si bien à mon caractère, mes goûts, ma façon de fonctionner qu’il est vraiment envisageable de vivre côte à côte pendant des années, et collaborer pour survivre ensemble, voire même arriver à être heureux.
J’ai expérimenté plusieurs types d’amour et celui-là me paraît le plus sain. Je ne vois sincèrement pas ce qu’il a de faux et de foireux.
Anna, l’héroïne du film, petite sœur de cette vague figurante qu’est l’éponyme reine des neiges (en VF), Elsa, partage ma vision de l’amour. Le souci est qu’on l’a enfermée dans son château dans son plus jeune âge sans lui dire pourquoi, parce que… Parce que… Il y a sûrement une raison pour laquelle on ne lui a rien expliqué, mais les scénaristes n’ont pas cru bon de nous la dire. Autant dire que pour trouver quelqu’un qui comble le vide qu’il y a dans sa vie, elle n’aura qu’un journée, et une seule, le jour du couronnement de sa sœur, où les portes de son château seront exceptionnellement ouvertes. Et elle est bien décidée à ne pas laisser passer cette seule et unique chance. Mais elle n’est pas déraisonnable pour autant. Elle ne s’enflamme pas au premier regard, comme le ferait une Pocahontas (pour n’en citer qu’une), elle ne se contente pas de danser avec le prince sans même songer à lui demander son nom, comme le ferait une Cendrillon (pour n’en citer qu’une). Elle prend le temps de lui faire la conversation et de constater qu’il a les mêmes goûts, le même caractère, la même façon de fonctionner qu’elle, exactement ce qu’on doit attendre de quelqu’un en amour. Si on était dans la vraie vie, on pourrait se dire qu’elle se trompe, mais on est dans une comédie musicale, et il y a un moyen infaillible de vérifier si deux personnages sont parfaitement sur la même longueur d’onde. Il suffit de regarder s’ils chantent en parfaite symbiose. Ce qu’ils font. Une chanson, dans une comédie musicale, ça vaut grosso modo deux mois de relation. La valeur de ce couple ne fait donc plus aucun doute. Emportée par l’enthousiasme, Anna court demander à sa sœur la permission de se marier, et au lieu de lui accorder du temps supplémentaire pour flirter et être sûre de son choix, Elsa pète un câble, perd son sang froid (lol), ainsi que le contrôle du pouvoir sur la glace qu’elle dissimule et tente d’étouffer depuis sa plus tendre enfance (oui, c’est pour ça que les portes du château ont été refermées. Et non, il n’y avait vraiment aucune raison valable de ne pas dire à Anna que c’était pour ça), gèle accidentellement tout son pays, et quitte le château, la ville, la vallée, et le film pour un bon moment. (Bon, elle chante une chanson avant de disparaître, profitez-en bien parce qu’après vous ne la revoyez plus avant longtemps).
Anna, qui contrairement à ce que le film essaye de nous faire croire, est une jeune fille intelligente et raisonnable, ne perd pas le nord, prend la peine de nommer un gouvernement provisoire, constitué de son prince, qui, étant de sang royal, sait comment s’y prendre, avant de partir à la recherche de sa sœur, considérant assez justement que puisque c’est leur dispute qui a provoqué le sortilège, seule leur réconciliation peut le lever. Elle y va par amour pour son royaume, par amour pour sa sœur, et trouvez-moi un seul autre personnage de Disney qui ait pris la peine de nommer quelqu’un pour assurer ses responsabilité avant de partir à l’aventure ! On verra par la suite quelques scènes du prince organisant la survie du royaume congelé, et se débrouiller très bien, ce qui tendrait à prouver que, même si elle n’a eu qu’une journée pour évaluer son prince, elle ne s’est pas trompée.
C’est dans ces circonstances qu’arrive le deuxième garçon. Il a tout pour plaire. Il n’en a rien à foutre de qui que ce soit à part son renne, il faut l’acheter avec un sac de carottes et un traineau pour qu’il guide la princesse dans la montagne, il est schizophrène (il croit que son renne lui parle… Il fait les questions et les réponses… Chelou) et il a été élevé par des Trolls qui ont une notion assez étrange du respect d’autrui, puisqu’à peine elle entre avec lui dans leur clairière qu’ils essayent de la marier de force avec lui. Le schizophrène et les Trolls vont harceler la pauvre Anna pour lui expliquer que son amour, qu’on a jusqu’à présent toutes les raisons d’apprécier et de prendre au sérieux, qui est basé sur une grande affinité, et une symbiose intellectuelle qu’une chanson a validé, n’est pas le véritable amour. Pour mettre cet amour à l’épreuve, le schizophrène (bon, il s’appelle Kristoff, mais schizophrène lui va mieux) teste Anna en lui posant des questions sur son amoureux, destinée à prouver qu’elle ne le connaît pas assez. Anna répond à toutes les questions, parce que oui, elle a pris le temps qu’elle avait pour faire connaissance avec son prince, elle ne s’est pas jetée dans les bras du premier venu sans réfléchir. Le tout étant entrecoupé de scènes avec le prince soupirant et attendant le retour de sa princesse, inquiet pour elle. On dit à Anna « Ca ne ressemble pas au véritable amour ! ». Pourtant, si, si, ça y ressemble, ça y ressemble vraiment, si ça ça n’y ressemble pas, je me demande bien ce qui y ressemble. Les Trolls décident qu’il serait plus raisonnable qu’elle épouse leur schizophrène, qu’elle connaît encore moins, et avec qui elle n’a pas beaucoup de sujets de conversation. C’est ça le véritable amour ? Quand des Troll veulent vous marier de force à un inconnu ? Sincèrement, je continue à préférer ma définition.
Bref, c’est compliqué tout ça. Non, ça l’est pas, en fait, mais les scénaristes on décidé qu’Anna devait finir avec le Schizophrène et pas avec le type génial qu’ils lui ont fait rencontrer en premier et dont ils ont un peu trop bien réussi les prémisses amoureux à leur goût. Comment se débarrasser de ce brave gars trop parfait ? Ressortons la reine des neiges de son placard. Au court d’une brève réapparition consistant principalement en un dialogue de sourdes entre les deux sœurs (où leur manque de communication et de symbiose intellectuelle se voit parce qu’elles chantent en même temps et pas la même chanson) Elsa gèle accidentellement sa sœur. Les trolls diagnostiquent que seul un geste d’amour peut sauver Anna.
Le schizophrène ramène donc Anna à son prince, et là, brusquement, le prince prétend qu’il n’a jamais aimé Anna, qu’il briguait seulement le royaume, ce qui est incohérent avec la totalité des scènes précédentes, où on l’a vu soupirer d’amour alors qu’il était seul et n’avait aucunement besoin de jouer un rôle. Bref, le geste d’amour, c’est pas lui qui le fera. Anna décide donc d’aller retrouver le schizophrène, qui parait-il est amoureux d’elle, bien qu’à ce stade de l’histoire, il ne sache en tout pour tout que deux choses d’elle : qu’elle aime sa sœur et qu’elle lui doit un traineau.
Or, alors qu’elle peine à marcher vers son amoureux numéro 2, elle aperçoit son amoureux numéro 1, qui s’apprête à tuer d’un coup d’épée sa sœur, qui, se rappelant qu’elle est censée être dans le film elle aussi, a eu l’obligeance de se laisser capturer par lui, histoire de se trouver au bon endroit au moment où sa sœur doit accomplir un haut fait. Anna, donc, se jette entre l’épée et sa sœur. Ce qui est un geste d’amour. Ce qui permet donc de briser le sortilège dont elle est victime, et l’épée par la même occasion. (C’est beaucoup mieux fait dans la scène, mais je suis trop mécontente pour le raconter de manière épique).
Rassurée par l’amour que lui porte sa sœur, Elsa parvient enfin à maîtriser ses pouvoirs et à lever le sortilège qu’elle a involontairement jeté sur son royaume, ce qui porte le total de ses moments d’utilité à l’intrigue au nombre incroyable de trois. Pour une raison obscure, son peuple, qui à la scène précédente avait décidé de la brûler, lui refait immédiatement confiance, et trouve même ça cool d’avoir une sorcière du froid comme reine. Ah, et un petit bonhomme très laid, qui n’a pas fait grand-chose à part une vague tentative ratée de meurtre sur Elsa alors qu’elle était en mode sorcière des neiges se retrouve puni, comme si c’était censé être lui le méchant de l’histoire. Je crois qu’il y a un arc de l’histoire qui s’est perdu en route. Et Anna offre un traineau à son schizophrène, qui l’embrasse en remerciement, et ils vont tous faire du patin à glace.
Entendons nous bien. J’ai une vision de l’amour véritable que tout le monde ne partage sans doute pas, qui me paraît défendable, et dont je ne vois pas ce qu’il y a à dénigrer, mais je peux envisager, même si je ne comprends pas pourquoi, qu’elle paraisse malsaine à d’autres. L’ennui, c’est que ce film ne m’explique pas pourquoi il dénigre ma définition de l’amour. Ce film ne m’explique rien, en fait. Ce film se tire dans le pied chaque fois qu’il a à expliquer quelque chose. On est censé comprendre qu’une journée ne suffit pas à faire suffisamment connaissance pour tomber amoureux, or le héros de l’histoire tombe amoureux en encore moins de temps et en faisant encore moins d’efforts pour faire connaissance. On est censé comprendre qu’une forte affinité n’est pas l’amour. Ok, je ne suis pas d’accord, mais ok, l’amour c’est quoi, si ce n’est pas ça ? Un bonhomme de neige nous donne la définition du film. « L’amour, c’est quand on fait passer le bien être de l’autre avant le sien ». Ok, je trouve ça encore moins sain que l’idée que l’amour c’est une affinité forte, mais ok, il y a au moins une définition. Sauf que … Le film lui-même MONTRE combien cette vision du véritable amour comme sacrifice à l’autre est malsaine.
Faire passer le bien de l’autre avant le sien propre, c’est exactement ce que fait Elsa depuis qu’elle est petite, en essayant d’étouffer son pouvoir et en acceptant l’enfermement dans son palais pour ne blesser personne. Et TOUS les problèmes du film découlent de ce sacrifice inapproprié. Parce qu’elle tente d’étouffer ses pouvoir, elle peine de plus en plus à les contrôler, et n’apprend pas à les utiliser, ce qui la rend plus dangereuse encore. Parce que les portes de son château son fermées, sa sœur n’a qu’une journée pour se trouver un prince, et choisit le mauvais, même si ce n’est pas mis en scène correctement, et que le fait que ce soit finalement le mauvais arrive comme un cheveu sur la soupe. Elsa a fait passer le bien de sa sœur avant le sien, en essayant de s’amputer d’une partie d’elle-même, et ce faisant, elle a fait bien plus de mal à sa sœur et à son royaume que si elle avait simplement essayé d’apprendre à se servir de ses pouvoirs, bref, si elle avait considéré que son propre bien est AUSSI important que celui des autres.
Et ce qu’il y a de plus injuste dans le fait qu’Elsa soit réduite à l’état de figurante dans le film qui porte son propre nom, c’est que les thèmes les plus intéressants du film étaient dans son court et fantomatique arc.
Voilà une jeune fille née avec de grands pouvoirs. Pour lui apprendre à bien s’en servir, le grand sage Troll lui donne rien moins que le mode d’emploi de ses super pouvoirs. Ta maîtrise dépend de tes sentiments. Si tu te concentres sur ton sentiment de peur, tu perds le contrôle. Si tu te concentre sur ton sentiment d’amour, tu prends le contrôle. Mais le père de la jeune fille, qui écoute à moitié, décide de ne pas écouter ce sage conseil, et choisit plutôt d’enfermer s a fille dans son château et dans sa chambre, et lui interdit de faire usage de son don, parce qu’il est trop dangereux. Ce faisant, il entretient sa peur de blesser autrui, et, comme l’a dit le troll, les pouvoirs de la jeune fille deviennent incontrôlables. Plus ils deviennent incontrôlables, plus le père renforce son enfermement, plus on renforce son enfermement, plus on entretient sa peur et plus ses pouvoirs deviennent incontrôlables, exactement comme Grand père troll l’avait prévu, ce qui n’encourage pas le père à changer de stratégie, et plus ses pouvoirs deviennent incontrôlables, plus on renforce son enfermement, et sa peur. Outre le message philosophique qu’il y a à tirer du fait que quand on essaye d’étouffer une force, elle devient plus dangereuse que si on essaye de vivre avec, on peut y voir un message sur la stérilité du sacrifice. Il n’est pas possible d’être bénéfique aux autres sont on est néfaste pour soi-même, si on ne s’accorde pas l’attention nécessaire pour rester fort et garder l’énergie aux autres.
Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est que le film met en scène des parents à qui on explique que leur fille doit éviter d’avoir peur, sous peine de devenir dangereuse, et qui, par conséquent, pour « l’aider », vont lui rappeler constamment à quel point elle doit avoir peur d’avoir peur. Exactement comme le font bien des gens pleins de bonne volonté, dans mon entourage, qui croient me rendre service en m’interdisant d’oublier une minute à quel point mon manque de confiance en moi me donne de bonnes raisons de manquer de confiance en moi.
Tout ça, j’aurais bien aimé que ce soient les sujets du film, ou au moins quelques-uns des sujets importants. Mais ça, ça n’intéressait pas les scénaristes. Ce qui intéressait les scénaristes, c’était de raconter une histoire de triangle amoureux à la con, banal et inintéressant, dont seule la mise en scène foirée empêche la prévisibilité. Et pas pour son bien.
Pas de film sur la fraternité. Pas de film sur l’amitié. Pas de film sur le sacrifice. Juste un film stupide, sur un stupide triangle amoureux, qui ne tient debout que parce qu’il se déroule dans un univers de Starscream, c'est-à-dire bourré de personnages incroyablement cons, qui, lorsque par hasard ils se mettent à dire des choses intelligentes, soit ne sont pas écoutés, soit sont traités d’idiots.
Il nous reste les chansons, fort jolies, même si elles ne créent pas un univers musical propre, comme d’autres disney, et les superbes effets spéciaux sur la glace.